lundi 29 décembre 2008

Joyeux Noel



Joyeux Noël à tous. Voici une petite suggestion générosité: Kiva, un réseau de micro-crédit, débordé par son succès; j'en avais déjà parlé l'an dernier, je reviens à la charge: il s'agit de prêter une somme modique (en général, 25 dollars) que l'on affecte à un projet de microcrédit où on veut dans le monde. Les projets sont détaillés, on voit à qui on prête et ce que veut faire l'entrepreneur (taxi, briquetterie, épicerie etc). Sont indiqués aussi les partenaires locaux qui s'assurent que les fonds sont bien affectés au projet, et le niveau de risque du prêt (certaines activités sont plus risquées que d'autres). On peut voir aussi sur la somme demandée quel montant a été financé au total par la communauté des prêteurs kiva. Une fois que le prêt a été financé, l'entreprise démarre. Puis l'entrepreneur commence à rembourser par petits bouts. Quand la totalité du prêt (sans intérêt) a été couverte, on peut ensuite réaffecter la somme à un autre projet... et ainsi de suite... Voici mon petit portfolio, à titre d'exemple.
Joyeux noël solidaire !

samedi 20 décembre 2008

Torture and democracy


Un entretien avec Darius Rejali, professeur de sciences politiques à Reed College (Oregon, USA), sur le site de nonfiction.

mercredi 17 décembre 2008

Un autre "visa denied"

C'est l'envoyé du Conseil des droits humains de l'ONU, Richard Falk, un universitaire américain de Princeton, qui a beaucoup écrit sur la guerre du Viet Nam, la guerre en Iraq et sur les territoires palestiniens occupés. Toujours cité par Israël comme celui qui a osé comparer l'occupation israélienne à l'occupation nazie, il se trouve catalogué comme ennemi de l'Etat hébreu à ce titre. Déclaré persona non grata par le gouvernement israélien, il a été arrêté à l'aéroport Ben Gurion dimanche 14 décembre, détenu pendant 30 heures (peut-être a-t-il dormi dans la cellule où je me trouvais trois jours avant?) et renvoyé aux Etats-Unis. Drôle de traitement pour un envoyé de l'ONU en mission officielle... Certes, le Conseil des Droits humains a peu de légitimité aux yeux du gouvernement israélien, qui s'est opposé à sa création en 2006 (avec les Etats-Unis, les îles Marshall et Palau, un obscur Etat du Pacifique qui cherche sans doute à s'inscrire par son positionnement courageux dans la galerie des immortels de l'Histoire avant de disparaître du fait du réchauffement climatique - mais je m'égare). D'autre part Israël estime être l'objet de harcèlement de la part de ce Conseil (voir le texte de wikipedia en anglais à ce sujet). Mais on peut se demander si dans un pareil cas une attitude plus conciliatrice serait peut être plus utiles aux intérêts du pays...

mardi 16 décembre 2008

Réactions (in English)

Amineh, une Palestinienne qui a grandi en Syrie et habite désormais aux Etats-Unis. Spécialiste de santé publique, elle aimerait pouvoir travailler dans les territoires palestiniens mais pour cela il lui faudrait la carte d'identité palestinienne, un document qui lui imposerait un passage encore plus difficile par les checkpoints. Elle m'explique que tout Palestinien est soumis aux rayons X, ce qui l'inquiète beaucoup. Elle me parle de son père, atteint d'un cancer:
"it is hard for me to write about me and my father's story. he has cancer and every 3 months he has to come to the usa for treatment. he has american passport, but he also has palestinian id and lives in palestine. he says crossing checkpoints and borders is worse than his cancer and enduring the hassle is worse than enduring his treatment... it has cost me so much money to go back and forth to be with him while he crosses as he is so frail weak and so tired and no one else from inside is allowed or easily can leave to be with him in israel or abroad for his treatment."
Amal, ma copine Palestinienne-Israélienne ("Arabe israélienne" selon une terminologie officielle qui tend à effacer leur histoire) qui étudie aux Etats-Unis:
"I would also add something about me feeling the same thing when I LEAVE home and how much I felt helpless and unable to help you even that I am a "citizen". I am glad that you had Noga's number, because she would know what to do or whom to call..I would not able to do the same. I would need a parliament member to intervene, an immigration high rank laywer or just a Jewish name to even make the contact with officials at the airport..your experience reminded me of how much outside the system I am."

lundi 15 décembre 2008

Sécurité et démocratie

Moi qui ai tant voyagé, sans souci, passant avec facilité les files « passeport européen », et attendant tranquillement l’heure de l’embarquement avec un bouquin, voilà que je vais détester les aéroports.

Jeudi 12 décembre, 10h à Rome. J’ai peu dormi, peu mangé, depuis que je suis partie de Paris vingt six heures auparavant. Beaucoup attendu.

D’Israël je n’aurai vu que l’aéroport Ben Gourion, les agents de la sécurité (surtout des femmes, souvent jeunes), et le petit centre de rétention où j’ai passé la nuit.
J’arrive devant la jeune femme qui contrôle les passeports. Elle regarde mon nom. Hésite. Me demande le prénom de mon père, fait une moue dubitative. Le prénom de mon grand-père, me fait répéter plusieurs fois. Le nom de ma mère. Un nom français, ça ne l’intéresse pas. C’est quoi le nom de votre père déjà ? Vous avez de la famille ici ? Non, mon père est d’origine tunisienne. Se tourne vers son collègue, montre le passeport. Décide de m’emmener dans une salle d’attente pour « contrôle de sécurité ».

Plusieurs Arabes dans la salle d’attente : ils arrivent des Etats-Unis et viennent rendre visite à leur famille en Palestine. J’ai un premier entretien, avec une femme très gentille, qui visiblement ne croit pas que je viens en touriste. Je reviens dans la salle d’attente. Deuxième entretien, après une heure d’attente. On reprend depuis le début : mon nom, celui de mon père et de mon grand-père, mon itinéraire et le but de la visite, qui je connais en Israël. Je donne le nom de mon ami israélienne, son numéro de téléphone. Le nom de l’ami allemand qui va me rejoindre aussi. Vous voyagez seule ? Oui. Vraiment, vous n’avez pas peur ? Non, je devrais ?

Troisième entretien, avec deux jeunes filles. L’une est très méfiante. Elle me dit qu’ils ont beaucoup de problèmes en Israël avec les Français qui viennent pour jeter des pierres aux soldats. Je réponds que je ne jette pas des pierres sur les gens en France et je n’ai pas l’intention de venir en Israël pour jeter des pierres sur les gens. Elle me demande ma religion. Pas convaincue non plus par le multiconfessionalisme séculier de ma famille. Décidément je ne rentre pas facilement dans ses cases.
- Pourquoi vous venez en Israël, pourquoi maintenant et pourquoi toute seule ? Vous n’avez pas d’ami ? vous savez que vous êtes au milieu du conflit du Moyen Orient ? D’ailleurs qu’est-ce que vous pensez de ce conflit ?
- Oh vous savez, je suis très ouverte, je viens ici pour découvrir et pour comprendre.
- Mmm . Vous faites partie d’associations, d’organisations humanitaires ou de défense des droits de l’homme ?
Je dis non. Ce n’est pas exact, je suis membre d’Amnesty, mais je ne suis pas venue à ce titre, et en aucun cas je ne représente l’organisation.
Est-ce que j’ai de la famille ou des amis en Israël. De la famille, non. Une amie oui, rencontrée à Seattle. Noga. Je donne son nom, son numéro de téléphone. Encore.

On me renvoie dans la salle d'attente où la télé braille. J'attends près de trois heures. La jeune fille revient, énervée, dit que ça va mal se passer pour moi. Nouvel entretien avec une autre femme, des services d'immigration. Elle me dit qu'ils ont trouvé des choses sur moi sur internet. Quoi ? Un « ami » musulman en prison aux Etats-Unis. Je pense à mes prisonniers du Supermax, avant de réaliser que l’officier de l’immigration fait allusion à une pétition que j’avais signée l’an dernier concernant un Palestinien-Américain emprisonné sans procès. Je lui explique que cela ne signifie pas que je soutiens ses opinions politiques. Elle me dit qu’il y a d’autres choses mais ne me dit pas quoi. Le deal serait alors que je trouve quelqu’un en Israël pour poser sur moi une caution de 8 000 euros, alors j’aurai un visa de deux semaines avec interdiction d’aller en Cisjordanie. Sinon, prochain vol pour Paris, le lendemain matin.
L’amie d’Amel, Noga, une Israélienne qui habite Tel Aviv et que j’avais rencontrée à Seattle, parle avec les agents, dit qu’elle ne peut pas se procurer cette somme dans la nuit, alors que les banques sont fermées. Elle fait même intervenir un avocat. Rien n’y fait. De toutes façons je ne sais plus si j’ai envie d’entrer aux conditions qu’ils posent. Je suis fatiguée. Il est 21h à Tel Aviv, j’ai atterri à 15h. Le temps passe, lentement.
On fouille mes bagages en détail, mes vêtements même. Les femmes ne sont pas méchantes, certaines ont presque l’air embarrassé. Personne ne me dit ce qui a motivé le refus. Pas d'explication.

Courte nuit dans une cellule somme toute confortable pour une prison (six lits superposés, douche et toilettes dans une pièce séparée, et sandwichs à disposition sur la table). Moi qui voulais aller en Terre Sainte me changer les idées, voilà qu’au contraire je fais l’expérience directe de mon sujet de recherche : une étrangère, suspecte, mise en prison et renvoyée illico presto d’où elle est venue.

Les heures s’écoulent, je passe mentalement en revue tout ce qu’ils ont pu trouver sur internet, notamment mes travaux sur les Palestiniens en Syrie, mais ils ne m’ont pas posé de question là dessus, pas de question sur la Syrie. Pas de question sur les pays que j’ai visités. Pas de question sur mon passeport neuf. Finalement j’ai l’impression qu’ils me reprochent de ne pas leur avoir donné de réponse à des questions qu’ils n’ont pas posées. Ils insistaient seulement pour savoir si j’avais de la famille en Israël. Je n’étais pas crédible comme touriste : seule, avec un programme flou, sans réservation d’hôtel. Avec un nom arabe surtout.

Je pense à Jérusalem. J’ai l’impression un peu irréelle d’être dans un mauvais rêve. Je ne me suis pas battue. Je n’ai pas insisté pour savoir ce qu’ils me reprochaient. J’étais lasse des heures d’attente. Ils ont gagné de ma résistance: user du pouvoir discrétionnaire c'est retirer à l'individu toute prise sur le réel; comme la décision de refus n'était pas motivée, je ne pouvais pas même répondre à leurs suspicions. J'ai des raisons de croire, de toutes façons, que la décision était bien plus idéologique que sécuritaire (je ne suis ni impliquée dans des groupes terroristes, ni même lanceuse de pierres!).

Les policiers m’emmènent dans l’avion. C’est à Rome que j’éclate en sanglots, quand je me retrouve au poste d’un carabinieri bien gentil qui ne comprend pas ce qui s’est passé et ne sait pas quoi faire de moi. Finalement il décide qu’il n’est pas nécessaire de m’accompagner jusqu’à l’avion pour Paris, et me libère dans la zone de transit.

Politiques préventives. Je n’ai rien fait mais je suis suspecte, comment alors prouver que je ne suis pas dangereuse ? Mon passeport porte désormais la marque « Israël – visa denied ».

Je reçois des messages d'amis, d'amis d'amis, d'amis d'amis d'amis. On me raconte des aventures similaires. Des Israéliens qui déplorent qu'au lieu de les protéger leur police assassine chaque jour un peu plus leur pays. Un intellectuel juif israélien qui appelle au boycott universitaire. Un journaliste chrétien palestinien qui me dit de ne pas abandonner, car alors "la violence, le racisme et la discrimination" vaincraient. Une prof d'histoire de l'université de Bir Zeit qui a peur d'être elle-même refoulée chaque fois qu'elle revient d'une conférence à l'étranger. Et ma copine Amal, qui étudie la littérature aux Etats-Unis parce qu'elle ne supportait plus la condescendance de l'université de Tel Aviv, me rappelle que son nom arabe lui donne toujours droit à des heures d'interrogatoire à chaque passage par l'aéroport de Tel Aviv; elle fait partie de ceux qu'on appelle les "Arabes Israéliens", qui se désignent comme "Palestiniens de 1948", et dont l'avenir est toujours incertain (voir les récentes déclarations de la ministre des affaires étrangères).

dimanche 23 novembre 2008

La Grande Guerre

Deux semaines après les commémorations du 90e anniversaire de la fin de la Première Guerre Mondiale, voici un extrait d'un livre passionnant sur les conséquences de la guerre sur la société française "14-18, retrouver la Guerre". Avant l'extrait, choisi pour son caractère comique, un petit mot de l'ouvrage: Stéphane Audouin-Rouzeau et Annette Becker y analysent la spécificité de la Grande Guerre, notamment au regard de la violence (le massacre de masse, la pulvérisation des corps sur le champ de bataille), de la mobilisation idéologique, du deuil. La mobilisation idéologique n'était pas réductible à de la simple propagande, affirment les auteurs, qui cherchent à rendre compte du profond consentement à la guerre qui a caractérisé l'Europe (avant les mouvements pacifistes et les mutineries sur lesquelles les commémorations actuelles insistent davantage). Cette mobilisation prenait les dimensions d'une véritable "croisade" contre l'ennemi, croisade dans laquelle étaient mobilisées les dimensions religieuses mais aussi pseudo scientifiques de la haine de l'autre. Ainsi on put entendre à l'Académie de médecine la présentation d'un opuscule intitulé "Bromidrose fétide de la race allemande" :
"l'Allemand, qui n'a pas développé le contrôle de ses impulsions instinctives, n'a pas cultivé davantage la maîtrise de ses réactions vasomotrices. Par là, il se rapprocherait de certaines espèces animales chez lesquelles la peur ou la colère ont pour effet de provoquer l'activité exagérée de glandes à sécrétion malodorantes (...) La principale particularité organique de l'Allemand actuel c'est qu'impuissant à amener par sa fonction rénale surmenée l'élimination des éléments uriques, il y ajoute la sudation plantaire. Cette conception peut s'exprimer en disant que l'Allemand urine par les pieds"

(Dr Bérillon, 1915. Cité par Audouin-Rouzeau et Becker, p147-148)

On peut se réjouir que ce texte nous fasse bien rire, maintenant que les Boches sont nos potes dans l'Europe. Cela laisse pensif tout de même sur les pouvoirs de la science...

lundi 10 novembre 2008

Eaux troubles

Puisque c'est la mode de la semaine, et aussi parce que je viens de finir le pavé de Scahill, voici un exemple des défis qui attendent le nouveau président des Etats-Unis: Blackwater, l'armée de mercenaires la plus puissante du monde, véritable géant de la sécurité privée qu'on retrouve sur les contrats les plus lucratifs depuis l'Iraq jusqu'à l'Afghanistan en passant par les gazoducs d'Asie centrale et les inondations de la Nouvelle-Orléans.
L'enquête magistrale de Jeremy Scahill, parue en 2007 a été rééditée en 2008 à la lumière des dernières auditions sur l'affaire de Nisour square, ce carrefour de Baghdad où des mercenaires de Blackwater ont ouvert le feu sur des civils iraquiens sans raison apparente. 17 morts. Aucun coupable puisque Blackwater bénéficiait d'un décret d'immunité connu sous l'appellation d' "Order 17", par lequel Paul Bremer, dès 2004, empêchait le gouvernement iraquien de poursuivre les sous-traitants privés devant les juridictions iraquiennes; l'armée américaine ne bénéficiait pas de tant d'indulgence, puisque les infractions aux règlements étaient traduites en cour martiale.
L'affaire de Nisour Square n'a donc abouti qu'à une enquête parlementaire, qui a montré l'ampleur de la privatisation des domaines jusque là réservés au gouvernement. A l'été 2007, il y avait plus de 180 000 "sous traitants" (private contractors) en Iraq, contre 160 000 soldats américains. Contrairement à l'opinion largement répandue, ces compagnies privées n'interviennent pas seulement dans les domaines proprement civils (infrastructure, pétrole etc) mais aussi dans les opérations de type militaire; si on ne connaît pas les chiffres des civils travaillant sur des missions de "sécurité", on sait qu'ils représentent plusieurs dizaines de milliers de personnes. Encore à l'heure actuelle. Des dizaines de milliers de mercenaires armés, sans réelle supervision, sans règlement contraignant, et hors de tout cadre juridique.
Il y a là de quoi faire froid dans le dos. Et Jeremy Scahill nous rappelle ainsi que les événements qui avaient précédé le siège de Fallouja étaient intimement liés à l'intervention de Blackwater en Iraq. Vous vous souvenez de ces images de quatre "civils" américains tués par la foule en Iraq, dont les corps avaient été traînés à travers toute la ville, mutilés, et montrés aux télévisions du monde entier comme avertissement à l'Amérique ? Il ne s'agissait pas de gentils ingénieurs venus réparer les conduites d'eau, il s'agissait de mercenaires de Blackwater en route pour une mission d'escorte des vivres destinés à l'armée américaine (la logique économique est ici à chercher du côté des copinages privés), qui ont traversé la ville de façon tout à fait inconsciente, alors que l'agitation était grande une semaine après que des habitants, qui protestaient contre l'occupation d'une école par l'armée, se soient fait tirer dessus par des soldats et des mercenaires de blackwater qui se trouvaient ensemble dans le bâtiment. Le lynchage des quatre "civils" en mars 2004 provoqua une telle émotion aux Etats Unis que l'armée américaine décida de poursuivre les criminels, et de "pacifier" Fallouja par tous les moyens. La ville de 350 000 habitants fut encerclée par un millier de marines, et deux bataillons de soldats iraquiens, bombardée jour et nuit pendant une semaine, faisant environ 600 morts (en majorité femmes et enfants), et des milliers de déplacés. Au lieu de remettre en question l'intervention des compagnies de sécurité privée, cet événement ne fit que renforcer leur position : Blackwater, bien que critiqué par l'armée américaine (qui jugeait la concurrence déloyale et néfaste pour son image en Iraq), remporta de nouveaux contrats... Et pas seulement en Iraq. Car les ambitions de la firme étaient bien planétaires. On la retrouve ainsi le long des pipelines de la Caspienne, dans des contrats de coopération militaire notamment avec l'Azerbaïjan. On la retrouve à recruter des troupes d'élite au Chili, parmi les anciens pro-Pinochet.
On la retrouve, bien sûr, en Afghanistan. Mais aussi, chose plus inattendue, à la Nouvelle Orléans... immédiatement après que le cylcone Katrina eut frappé la ville, le 29 août 2005, Blackwater annonça sa volonté d'apporter son aide aux secours d'urgence. Au lieu de secouristes, ce sont des gardes de sécurité qui ont été envoyés, pour s'assurer que les riches villas, hôtels et magasins ne soient pas pillés. Et loin d'être un secours bénévole, les contrats remportés par Blackwater s'élevèrent à plusieurs millions de dollars - dont 73 millions en contrats avec le gouvernement américain, notamment pour "protéger" les locaux de la FEMA, l'organisme public chargé des secours d'urgence. Alors que les miliciens armés jusqu'aux dents affluaient dans la ville dévastée, les habitants sinistrés n'avaient toujours pas d'eau ou de vivres. Obama notait alors avec ironie que, à sa connaissance, aucune attaque terroriste n'était prévue à la Nouvelle Orléans et qu'on aurait pu faire un usage plus judicieux des fonds publics en de telles circonstances.
Toujours avide de nouveaux marchés, Blackwater plaide activement pour une intervention américaine au Darfour qui s'appuie sur 'le professionalisme' des compagnies privées de sécurité. Et pour une 'professionnalisation' des milices qui gardent la frontière américano-mexicaine.L'enquête de Scahill, loin de s'arrêter à un catalogue de scandales, s'attarde longuement sur la biographie des principaux acteurs, pour montrer comment ils ont constitué leurs réseaux dans les milieux de la droite chrétienne conservatrice, et ont bénéficié de l'interpénétration des milieux d'affaires et des milieux politiques.

jeudi 6 novembre 2008

Jusqu'où?

La rétention administrative, ou comment euphémiser la déportation. Voir le clip.

mercredi 5 novembre 2008

quelques mots sur l'élection



Heureusement qu'il y a des villes et de la mer en Amérique... voyez les cartes de la géographie électorale. Cette division se reproduit d'ailleurs de manière très intéressante à l'échelle de l'Etat de Washington, où les villes (Seattle, Spokane, Olympia)tranchent sur les zones rurales désertiques. On pourrait appeler cela le syndrome du cow boy...
Il n'en reste pas moins que l'Amérique est le monde des possibles, capable du pire comme du meilleur, et que c'est bon de pouvoir croire en l'avenir.

YES WE CAN


THANK YOU AMERICA

mercredi 29 octobre 2008

A côté

C'est le titre d'un film qui sort aujourd'hui dans les salles. Un documentaire d'une beauté et d'une force remarquables.
C'est l'histoire de femmes qui ont un homme qu'elles aiment (un fils, un mari) à côté, dans la maison d'arrêt de Rennes. Elles font des centaines de kilomètres, parfois plusieurs fois par semaines, avec gamins et petit salaire, pour aller remonter le moral à leur homme, lui dire leur amour, leur soutien. Lui apporter du linge propre, parfumé, avec des mots doux plein le sac. Lui apporter le colis de Noël en prenant soin d'abord de dépiauter les bonbons de leur emballage car la prison ne laisse pas rentrer l'aluminium.
C'est la vie de ces femmes qui subissent à plein temps la détention de leur mari. Le poids financier d'un revenu en moins et de dépenses en plus (il faut bien qu'il "cantine *" pour manger à sa faim). Le poids émotionnel de l'absence. Mais aussi les brimades et vexations infligées par l'administration pénitentiaire, aux règles arbitraires et souvent imprévisibles, qui ne dit rien - lorsque l'aimé est à l'hôpital, ou bien va être transféré dans une autre prison.
La peur du suicide - des actes extrêmes et autodestructeurs. "quand j'ai accouché il a demandé une permission, on lui a refusé; il s'est tailladé les veines, il pensait qu'à l'hôpital il pourrait me voir, ils ne l'ont même pas emmené à l'hôpital, ils l'ont recousu sur place".
La peur de craquer soi-même, de ne plus tenir le coup, d'être usée par la peine, par la frustration aussi des incompréhensions dedans/dehors, peur du fossé grandissant...
Et l'amour, mystérieux dans sa force, sa résolution, sa détermination.

* cantiner: acheter des produits au magasin de la prison.

mercredi 22 octobre 2008

Un messager de la paix un peu désabusé (version rédigée)

En visite à Paris, le négociateur palestinien Ahmed Qoreï fait un bilan désabusé de la situation du processus de paix au Proche-Orient. Un an après Annapolis, les négociations peinent à avancer, d’une part à cause des dissensions politiques internes aux deux camps, et d’autre part à cause du non respect de la feuille de route.Qorei a souligné que les engagements pris à Annapolis n’ont pas été suivis d’effets côté israélien, notamment concernant l’arrêt de la colonisation, tandis que, affirme-t-il, l’autorité palestinienne a fait de nombreux progrès dans le domaine de la sécurité. Le négociateur palestinien regrette que le général William Fraser, nommé par les Etats-Unis pour observer l’application de la feuille de route, n’ait pas rendu son rapport.Qoreï a admis que les questions de politique interne tant du côté israélien que palestinien avaient entravé les discussions. En Israël, on se préoccupe moins des négociations que de la formation d’un nouveau gouvernement après les scandales qui ont poussé au départ le premier ministre Ehud Olmert. Côté Palestinien, les dissensions entre Fatah et Hamas ont conduit à une véritable division ; une réunion est convoquée le 8 novembre au Caire, à l’initiative de l’Egypte, en vue de la constitution d’un gouvernement d’union nationale composé de technocrates.C’est dans ce contexte trouble que le négociateur palestinien a rencontré, hier, le ministre français des affaires étrangères Bernard Kouchner. Ahmed Qorei espère que dans le cadre de la présidence française de l’Union Européenne, l’initiative arabe pour un plan de paix global pourra trouver des soutiens politiques forts.L’initiative arabe, proposée en 2002 par l’Arabie Saoudite et adoptée au sommet de la Ligue Arabe en 2007, a été réaffirmée lors du Forum de Doha en 2008, propose un règlement global du conflit israélo-palestinien et du conflit israélo-arabe, sur le principe de « la terre contre la paix » : les Etats arabes (rejoints par des Etats musulmans membres de l’Organisation de la Conférence Islamique) s’engagent à reconnaître Israël en échange de la création d’un Etat palestinien souverain. Israël n’a pas encore répondu à cette initiative, qui achoppe en particulier sur la question de Jérusalem et des réfugiés. Qoreï se réjouit cependant de l’intérêt récent pour cette initiative manifesté par Shimon Pérès, qui rencontre aujourd'hui le chef de l'Etat Egyptien à Charm el-Cheikh, et par Ehud Barak. La position de Tzipi Livni, qui va prendre la tête du gouvernement israélien, demeure incertaine à ce jour.
Si Qoreï compte sur un déblocage de la situation au niveau diplomatique, l’évolution de la situation sur le terrain n’engage pas à l’optimisme. Avec le développement des colonies en Cisjordanie, les arrestations et incarcérations (dont l’affaire du franco-palestinien Salah Hamouri n’est qu’un des nombreux exemples), les blocus routiers et les check-points qui entravent la circulation, la constitution d’un Etat palestinien indépendant et souverain apparaît de plus en plus problématique. Le négociateur admet que les Palestiniens vont peut être devoir se rabattre sur la solution d’un seul Etat pour deux peuples – une solution de plus en plus populaire parmi les groupes de soutien à la cause palestinienne, qui espèrent ainsi résoudre la question des discontinuités territoriales.

lundi 20 octobre 2008

Rouault à la Pinacothèque


L'exposition Rouault de la Pinacothèque présente des oeuvres magnifiques de la collection Idemitsu - un riche collectionneur japonais fasciné par le peintre français.


L'argument du commissaire de l'exposition peut se résumer ainsi: faire découvrir un nouveau Rouault, Rouault le Japonais, loin des idées ressassées sur la religiosité du peintre. Donc pas d'accrochage chronologique, pas d'accrochage thématique. Le résultat ne ressemble pas à grand chose en terme de propos pédagogique ou même de cohérence intellectuelle. On ne comprend pas l'organisation des oeuvres. Des tableaux qui se répondent ont été séparés, différentes époques mélangées de sorte qu'on perd le fil... L'idée que Rouault plaisait au Japon parce que sa peinture, cernant les contours de traits noirs vigoureux, ressemblerait aux calligraphies d'extrême-orient, est sans cesse affirmée sans pour autant se donner les moyens de convaincre. Ainsi, curieusement, au lieu de mettre en regard des oeuvres de Rouault des calligraphies japonaises, on a préféré placer des petites reproductions d'estampes, choisies en fonction d'une familiarité thématique sans que les différences stylistiques soient problématisées.

Cet argument est présenté, malheureusement, au détriment d'autres commentaires sur les sources d'inspiration du peintre. Les références aux contemporains (Matisse excepté) en sont complétement escamotées: nulle part il ne sera question de Toulouse-Lautrec et Degas, des Nabis et des expressionnistes, avec qui Rouault était pourtant en dialogue constant - et avec qui il partageait une même révolte contre la société, sa violence, ses laideurs.

La beauté des oeuvres sauve l'exposition. On retiendra notamment ces beaux portraits stylisés, encadrés dans le cadre pour les placer encore davantage dans la représentation, et qui irradient de couleur entre les cernes noirs, icônes profanes. Les clowns plâtrés, à la limite de la sculpture tant la peinture y est travaillée en relief, et permet un jeu de la lumière sur la surface du tableau. Le traitement extrêmement humaniste des thèmes religieux, qui rappellent l'expérience douloureuse de la souffrance et de la guerre.

vendredi 17 octobre 2008

La misère

17 octobre, Journée Mondiale du Refus de la Misère. Bon à rappeler en ces temps de crise. Il n'y a pas que les banques qui sont affamées... Selon Oxfam, près d'un milliard de personnes sont menacées de famine dans le monde, à cause de la hausse du prix des denrées alimentaires. Un rapport récent de l'ONG dénonce la déréglementation des marchés :
La tendance en matière d’agriculture, tout comme en finance internationale, a été tournée vers la déréglementation et la baisse du rôle de l’État. Ceci a eu des effets désastreux et l’exposition à la volatilité des marchés a détruit la vie de personnes innocentes. (...)En attendant, certaines des plus grandes entreprises agroalimentaires internationales ont enregistré des bénéfices exceptionnels. Bunge, le négociant en produits alimentaires, a vu ses bénéfices pour le second trimestre d’exercice en 2008 croître de 583 millions de dollars, c’est-à-dire qu’ils ont quadruplé par rapport à la même période l’année dernière. Les ventes mondiales de Nestlé ont progressé de près de 9 % au cours du premier semestre 2008, et le supermarché britannique Tesco a fait part de bénéfices en hausse de 10 % par rapport à l’année dernière. Le semencier Monsanto a fait part d’une hausse de 26 % de son chiffre d’affaires pour atteindre un résultat record de 3,6 milliards de dollars pour le trimestre d’exercice se terminant le 31 mai 2008.
Des politiques agricoles nationales inadaptées ou mal contrôlées, associées à des règles commerciales déloyales et de mauvais conseils économiques, ont créé une situation où les grands négociants et supermarchés profitent de la hausse des prix, et où les petits agriculteurs et les consommateurs se retrouvent perdants.
Voir le site d'Oxfam

jeudi 16 octobre 2008

Mantegna au Louvre

Remarquez le pied, juste en dessous du bras de Judith.

De la Marseillaise

Un petit mot rapide sur la crise politique gravissime que nous traversons: la Marseillaise sifflée au stade de France. Inacceptable. Inadmissible. On devrait évacuer le stade à coups de matraque et foutre tous ces petits cons au trou pour leur apprendre le patriotisme.
Personne ne s'étonne pourtant qu'à l'inverse lorsque les valeurs républicaines proclamées par la Marseillaise sont bafouées publiquement et officiellement (dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale par exemple) il n'y ait pas de sifflets ? Pas de sifflets pour cette loi infâme du 23 février sur les aspects positifs de la colonisation, qui finalement a été retirée suite à la mobilisation citoyenne initiée par les profs d'histoire, pas (assez) de sifflets pour le ministère de l'identité nationale et du karcher, trop de calme pour la rétention de sûreté et Edvige... N'est-ce pas aussi insulter la Marseillaise que de rester silencieux lorsque des propos, ou des prises de position, bafouent notre belle terre abreuvée du sang des martyrs morts pour la liberté? Il faudrait s'insurger aussi de certains silences...
Evidemment au stade de France le message politique était un peu flou... Contre la France, contre Laam, contre les contrôle d'identité à l'entrée du stade, contre le gouvernement présent au match, contre la défaite inévitable de la Tunisie contre la France... Les petits guignols du stade avaient mal préparé leur propos, mais bon, ils venaient pour un match de foot... Alors on pourrait prendre les sifflets un peu plus à la légère (et en profiter au passage pour se demander ce qu'il est advenu du plan banlieue, un peu relégué au placard derrière les boucliers fiscaux et autres)...

- petit regret, ajouté en fin de journée...
Finalement, en lisant la presse tunisienne telle que relayée par le Courrier International, on se dit qu'être ferme, réprimer sévèrement les manifestations antipatriotiques, les dénigrements qui portent atteinte à la sécurité de l'Etat ou à l'égo de son chef, eh bien ça permet de vivre vraiment dans un pays merveilleux où tout va bien. Madame la Marquise.

Autre addendum: sur la question juridique des possibles poursuites contre lesdits petits cons, voir l'article très éclairant d'un avocat sur le blog de Me Eolas.

mardi 14 octobre 2008

RSA, un acronyme de plus?

Hier soir (lundi 13 octobre) en salle Dussane de l'Ecole Normale Supérieure. L'association Pollens et Regards Croisés sur l'Economie proposaient un débat sur la nouvelle mesure anti-pauvreté: le Revenu de Solidarité Active. Salle comble: Martin Hisch, le père de la mesure, François Bourguignon, l'évaluateur, et Olivier Ferrand, le rabat-joie, sont présents pour exposer leurs arguments, sous l'arbitrage du journaliste du Monde Rémi Barroux. Ce dernier lance le débat, les pieds dans le plat: "A l'heure de la crise, alors qu'on est capable de trouver des centaines de milliards pour les banques, la classe politique a-t-elle vraiment envie du RSA puisqu'elle rechigne à lui consacrer 1,5 milliards d'euros?".
Hirsch répond qu'en effet, on a du mal à imposer une nouvelle mesure sociale: il y a une certaine lassitude, suite à l'accumulation des mesures qui ont été prises depuis vingt ans, le RMI, la Prime pour l'emploi, les APL etc, et qui n'ont pas résolu le problème de la pauvreté. Il y a un certain scepticisme ambiant qui tend à miner les politiques alors même que la pauvreté a cessé de diminuer en France depuis plus de 10 ans. Il y a 7 millions de personnes sous le seuil de pauvreté. La moitié sont des exclus du travail, l'autre moitié sont des travailleurs pauvres. On croyait que les "working poor" c'était un phénomène américain lié à la déréglementation du travail, et pourtant, en France, malgré la hausse du salaire minimum, il y a de plus en plus de travailleurs pauvres. Le phénomène de la pauvreté n'est donc pas identique au phénomène du chômage.
Le RSA a trois objectifs : rationaliser et coordonner les multiples aides existantes, faciliter le retour au travail, réduire la pauvreté de ceux qui travaillent.
Jusque là, toutes les propositions de lutte contre la pauvreté ont échoué à cause de l'absence d'accord entre la gauche, la droite et tous les partenaires sociaux. Les uns proposaient une augmentation du SMIC, les autres une revalorisation du RMI, et personne ne voyait comment résoudre le problème de l'écart entre les deux. Pour sortir de l'impasse, il fallait s'assurer que toute augmentation de travail augmente les revenus (au lieu que, par un effet de seuil, on risque de baisser ses revenus en travaillant, par la suppression brutale des aides associées au RMI). Le RSA propose donc une fusion du RMI et de la Prime pour l'Emploi. Le RMI avait été créé à l'origine pour les gens dans l'incapacité de travailler. Or il y a actullement 1, 2 millions de RMIstes, dont 1/4 se disent capables de travailler. Le RSA se conçoit donc comme un instrument de substitut de revenu pour les sans travail et un complément de revenu pour ceux qui travaillent.
Procédure originale en France, le RSA a fait l'objet d'une expérimentation dans plusieurs départements avant que sa généralisation ne soit envisagée dans toute la France. François Bourguignon est président du comité d'évaluation. Il rappelle que, lorsqu'il était au Conseil d'Analyse Economique, il avait dénoncé dans le RMI un phénomène de 'trappe à pauvreté' qui avait un effet désincitatif sur la reprise de l'emploi, d'où la création dela prime pour l'emploi.
L'expérimentation pour le RSA est un dispositif exceptionnel en France, bien que pratiqué plus couramment dans d'autres pays (Etats-Unis, Canada). Comparant des zones test et des zones témoin dans un même département, on constate qu'il y a des taux de retour à l'emploi supérieurs dans les zones RSA. L'évaluation est encore imprécise mais montre bien une différence. A ce stade pourtant il est difficile de savoir si c'est le dispositif lui-même, ou bien sa nouveauté, qui crée une différence.
La parole maintenant à Olivier Ferrand, du 'think tank' de gauche Terra Nova, qui va jouer le rôle de rabat-joie, axant ses critiques sur trois points:
- le RSA ne vise que les travailleurs pauvres et abandonne les chômeurs; il ne permet pas une revalorisation du RMI (revalorisé de 1,2% cette année alors que l'inflation était de 3%)
- il est financé principalement en ponctionnant la Prime pour l'Emploi, ce qui revient à dépouiller les pauvres pour redonner aux pauvres, au lieu de s'attaquer aux riches qui sont protégés par les 'niches fiscales'
- le principe de retour à l'emploi repose sur des contrats aidés qui sont de moins en moins garantis par l'Etat. En plus, beaucoup d'études montrent que ce n'est pas l'incitation financière qui permet un retour à l'emploi. Et quant à la simplification administrative, ce n'est qu'un détail.
Ferrrand conclut d'un vibrant: "le RSA de droite, c'est bien différent d'un RSA de gauche!' ...

Un peu vexé de l'attaque, Hirsch rétorque vivement. Oui le RMI est trop bas, bien en dessous du seuil de pauvreté, et décroche par rapport à l'inflation; il faudrait reprendre le débat sur les minima sociaux au lieu de faire des primes de Noël! Mais en ce qui concerne le RSA, il s'agissait de viser l'efficacité afin que les gens arrêtent de dire que la politique sociale ne sert à rien. Le RSA, ce n'est pas une dégradante opposition entre salariés pauvres et chômeurs pauvres, au contraire, puisqu'il permet un continuum. Concernant le financement, la prime pour l'emploi était actuellement plafonnée à 4,7 SMIC. En reprendre n'était pas choquant. Mais il fallait s'attaquer aussi aux niches fiscales, d'où cette mesure sur un impôt sur les revenus du capital.
Et la simplification administrative est loin d'être un détail: la complexité des multiples aides a des effets très concrets sur les familles qui se voient réclamer des remboursements d' "indus" (aides versés à quelqu'un qui ne remplissait plus les critères) alors qu'elles sont déjà en difficulté financière.
Bourguignon répond sur l'effet emploi: on fait des mesures justement pour évaluer cela, et jusqu'ici les évaluations montrent qu'il y a un effet emploi... Mais en effet, c'est peut être l'accompagnement, et pas l'incitation financière, qui a un effet, il est un peu tôt pour affiner l'analyse.

Questions de la salle.
- que fait-on des 18-25 ans (pas concernés par le RMI) ?
-MH. Il va falloir inventer des dispositifs spécifiques. Il y a eu de nombreuses discussions et certains partenaires sociaux dénonçaient un risque à faire des jeunes des allocataires du RMI dès 18 ans.
- pourquoi généraliser si rapidement avant d'avoir des résultats complets de l'expérimentation?
- MH. On avait peur que, si on attendait trop, il n'y ait plus d'argent. Et quand on voit le contexte actuel (la crise financière), on se dit qu'on n'est pas passé loin !
- comment éviter que les effets de trappe du RMi ne se reproduisent avec le RSA?
- MH: le système des aides connexes va changer. Il y aura une réduction progressive de ces aides (transport, logement, CMU etc), qui permettra de lisser les effets de seuil.
- RB. On voit que le RSA fonctionne bien avec les contrats aidés, on peut se demander alors s'il peut fonctionner sans, et s'il peut fonctionner dans un contexte de reprise du chômage?
- MH. C'est en effet une question. Mais sur les contrats aidés, cela ne concernait que 1/3 des reprises de travail, les 2/3 étaient des contrats classiques.
-OF. Il faudrait pour mieux lutter contre la pauvreté que le RMI soit indexé sur le pouvoir d'achat, et que le RSA soit intégré dans une politique plus large: sécurisation des parcours professionnels, création d'emploi, lutte contre le travail précaire. Le RSA risque en effet de financer le travail à temps partiel.
- FB. Oui il risque de rendre le travail à temps partiel plus attractif, mais alors il faudra distinguer le temps partiel subi et le temps partiel choisi.

(je passe sur le revenu d'existence, qui fera l'objet d'un post à part lorsque j'aurai vraiment compris de quoi il s'agit)

En nous quittant, MH annonce la tenue en novembre prochain d'un forum à Grenoble sur l'expérimentation sociale. Et réaffirme son credo: le RSA ne procède pas d'un changement moral sur les travailleurs, mais sur la société qui autorise actuellement le travail gratuit (ie qu'on ne gagne rien en reprenant le travail et en renonçant au RMI), une forme moderne de l'esclavage.


(Merci à Vincent Braconnay pour ses notes précises et ses explications sur la taxation à 100% des travailleurs pauvres)

Pour en savoir plus, voir le "site de propagande officielle" dixit Martin Hirsch, ou le dernier numéro de RCE.

vendredi 10 octobre 2008

Contre l'idée de sanction (lecture)

Jean-Marie Guyau, philosophe et poète, né en 1854 et mort en 1888 a connu la vie fulgurante des génies. D'inspiration spiritualiste, progressiste, il entreprend de réexaminer la question de la morale et de la loi. Les lois de la société sont-elles identiques à la loi morale? La sanction est-elle nécessaire à la loi morale ? Pour situer Guyau, météore souvent absente des manuels de philosophie, on peut dire qu'il reprend la critique du rationalisme kantien telle que formulée par Schopenhauer, c'est-à-dire en insistant sur le caractère sensible de l'homme; mais il y ajoute un ton délibérément optimiste. Sans le cynisme de Nietzsche, qui annotera abondamment son Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction.
Le petit texte ici commenté est une sorte de travail préparatoire au traité publié en 1884. On peut le trouver en accès libre sur wikisource : Critique de l'Idée de Sanction, ou bien en librairie sous le titre Contre l'Idée de sanction (carnets de l'Herne, 2008).
"L’humanité a presque toujours considéré la loi morale et sa sanction comme inséparables : aux yeux de la plupart des moralistes, le vice appelle rationnellement à sa suite la souffrance, la vertu constitue une sorte de droit au bonheur. Aussi l’idée de sanction a-t-elle paru jusqu’ici une des notions primitives et essentielles de toute morale."
Pourtant la sanction ne peut servir à fonder la loi, car agir pour ne pas subir de sanction c'est agir en fonction de son intérêt, et non en fonction de l'impératif moral. D'autre part, la sanction elle même semble aller contre la morale, car tuer son prochain, même si c'est en rétribution d'un crime, peut difficilement passer pour le parangon du Bien. Pourtant comme l'idée de sanction se retrouve dans toute discussion de morale, on la retrouve aussi bien au fond de toute religion (Dieu nous récompense de nos bonnes actions et nous punit de nos péchés). Or si la loi morale est pure et désintéressée, elle devrait se satisfaire d'elle-même et ne pas s'armer de sanctions; il n'y a qu'une loi faible et vulnérable qui ait besoin de sanction pour se renforcer: voilà le paradoxe central que développe Guyau. Plus le principe moral est sacré et absolu, plus il doit être détaché de toute notion de sanction.
Ce raisonnement, qui peut sembler paradoxal voire absurde au premier abord, repose sur une distinction fondamentale entre l'ordre de la morale et l'ordre social. La sphère du social est celle de l'action, inévitablement marquée par une perspective utilitariste. La morale pure quant à elle se situe au delà de toute utilité: c'est l'ordre des valeurs absolues, désintéressées, détachées de toute perspective d'action. Il n'y a que dans la sphère du social que le châtiment fait sens: sans son utilité sociale, il serait tout aussi blâmable que le crime même. La justice distributive (qui attribue à chacun selon le mérite) "n’a donc de valeur qu’en tant qu’elle exprime un idéal tout social, dont les lois économiques tendent d’elles-mêmes à produire la réalisation". La référence au modèle économique indique bien de quoi il s'agit: la justice distributive vise à assurer le bon fonctionnement de la société, en termes d'échanges et de coopération entre les individus; elle récompense les actions pro-sociales, et punit les actes anti-sociaux. L'idéal moral quant à lui est de l'ordre du désintéressement pur :
"On sait la légende hindoue suivant laquelle Bouddha donna son propre corps en nourriture à une bête féroce qui mourait de faim. C’est là la pitié suprême, la seule qui ne renferme pas quelque injustice cachée. Une telle conduite, absurde au point de vue pratique et social, est la seule légitime au point de vue de la pure moralité."
La sanction est donc un mécanisme de défense sociale, elle n'est même qu'une forme sophistiquée de l'instinct de conservation. Contrairement à ce que voudrait nous faire croire la formulation rationaliste des lois, ces dernières ont pour origine notre nature sensible: une réaction instinctive contre ce qui nous menace, et une défense de ce pour quoi nous avons un penchant, ou de la sympathie. C'est ce qui explique que la loi humaine du droit positif (le droit écrit par le législateur) soit toujours suspecte de partialité, de biais, d'injustice. Car elle n'interdit que ce qui nuit à ceux auxquels nous pouvons nous identifier: "la sanction pénale n'est au fond qu'une défense exercée par des individus à la place desquels nous pouvons nous transporter en esprit, contre d'autres à la place desquels nous ne voulons pas nous mettre". Les lépreux, les pauvres, les sans-papiers etc.
Loin d'être cynique pourtant Guyau affirme un optimisme sincère, reposant sur l'idée de progrès et d'évolution des sociétés. Une loi d'économie de la force produit un adoucissement croissant de la sanction pénale: plus besoin de supplices compliqués, une simple peine d'emprisonnement suffit; ce qui justifie la peine ce n'est donc pas sa ressemblance avec le crime, mais simplement son efficacité au point de vue de la défense sociale. Au terme du processus de civilisation, la justice distributive (qui distribue les privilèges et les peines individuellement) laissera place à la 'charité'.
Guyau parle-t-il ici du futur de notre société ou bien de la Fin des Temps? La chose n'est pas claire... L'essai se termine en effet par un examen de la notion de sanction en religion - et notre philosophe balaie d'un revers de main l'Enfer (Dieu est bien au dessus de toutes ces fantaisies, diablotins et fumerolles): la 'sanction' suprême, c'est la sanction d'amour et de fraternité. Celui qui fait le mal se trouverait isolé, celui qui fait le bien trouverait le bonheur dans la coopération et l'amour partagé. On a envie de sortir les violons et de crier Alléluia.
Et un petit malin passe la tête comme un démon sorti de sa boîte: dis Guyau tu ne retombes pas dans l'utilitarisme que tu dénonçais? Et n'est-il pas aussi immoral de laisser faire le mal? Et en parlant de l'avènement du règne de la charité universelle n'as-tu pas confondu les deux ordres, ce monde d'ici bas et l'Autre monde, que tu distinguais pourtant auparavant?
D'ailleurs, revenant sur Kant et sa grosse artillerie germanique, Guyau concède qu'on ajoute la sanction à la loi pour la légitimer...On oublierait presque que cela a une importance, tant Guyau change immédiatement de sujet pour raconter une jolie histoire d'une bonne femme damascène qui portait une torche pour brûler le Paradis, et une cruche pour éteindre l'Enfer, comme ça les gens agiraient par pur amour de Dieu.
Mais légitimer la loi - surtout dans une société sans dieu - ce n'est pas rien. C'est même plutôt important. C'est dire que la loi est importante, que la société en a besoin, que par exemple l'interdiction de tuer est nécessaire à la protection de tous, quelle que soit l'identité de la victime; que l'interdiction de voler est aussi nécessaire (à partir du moment où l'on reconnaît un droit à la propriété), qu'il s'agisse d'un vol à l'étalage ou bien d'une embrouille boursière comme on en voit tant. C'est précisément parce que certains crimes ne sont pas sanctionnés que la loi se trouve être injuste- et qu'elle perd sa légitimité. Or la légitimité c'est bien ce sur quoi repose la société comme organisation politique. Si nos institutions, qui nous abrutissent de bureaucratie, n'avaient aucune légitimité à nos yeux, nous irions nous construire une cabane dans les bois pour vivre avec les ours. Et il ne s'agit pas ici seulement d'utilité; chacun est capable de voir l'injustice qui lui profite (voyez par exemple ces milliardaires américains qui s'indignent de tomber dans les niches fiscales et soutiennent une réforme de l'impôt!); faire un procès aux crimes du passés (à Papon par exemple) n'a rien d' utile mais cela est dans une certaine mesure nécessaire pour assurer la légitimité de l'Etat.
Guyau a raison pourtant, ce n'est pas le quantum de la peine (les années d'emprisonnement par exemple) qui fait la légitimité de la loi. On ferait bien de reléguer les peines plancher au placard de l'histoire, avec l'Enfer et autres vieilleries. Ca ne va pas trop avec le principe d'économie (qui va prendre une nouvelle rigueur, au vu de l'actualité financière).

jeudi 9 octobre 2008

Les règles et la violence

Je ne veux pas ici parler de normes et déviances, mais bien de menstruation ; du moment particulier du cycle biologique de la femme où tout est réputé déréglé et tabou. Rassurez vous, je ne vais pas faire ici des confidences embarrassantes qui n'auraient pas lieu d'être sur une page aussi publique et exposée; je ne vais pas non plus faire du démarchage pour des serviettes hygiéniques révolutionnaires ...
Je viens de trouver sur Jstor (la mine des étudiants, où l'on trouve de vraies pépites après des heures de sueur) une étude fort intéressante intitulée "Menstruation and Aggressive Behavior in a Correctional Center for Women" (The Journal of Criminal Law, Criminology, and Police Science, Vol. 62, No. 3 (Sep., 1971), pp. 388-395). Les auteurs, Desmond P. Ellis et Penelope Austin, après avoir présenté un joli florilège de superstitions sur la souillure du sang menstruel, entreprennent de vérifier les fondements de ces croyances en examinant le comportement violent et antisocial des femmes dans une situation expérimentale, la prison. Un certain Cooke n'avait - il pas affirmé qu'à Paris, une année donnée, 84% des crimes commis par des femmes l'avaient été lorsque ces dernières étaient en période de menstruation? L'étude, qui n'a rien de bien transcendant dans sa mise en oeuvre (questionnaire administré quotidiennement à 45 femmes en prison pendant 4 mois) produit un très joli schéma, que l'on pourrait comparer à des courbes de température... Réglé comme du papier à musique...

Les auteurs, sociologues, regrettent qu'on ne puisse pas vraiment proposer d'interprétation en termes sociologiques et qu'il faille s'en remettre aux endocrinologues pour expliquer un peu cette irritabilité périodique... Mais ils suggèrent tout de même en conclusion une application très utile de leur recherche: messieurs les policiers, lorsque vous intervenez dans une dispute conjugale, vérifiez que madame n'a pas ses règles - auquel cas vous risqueriez bien votre vie à vous interposer ! Rien de nouveau sous le soleil somme toute. A quand une vraie étude sur les rapports entre violence et cycle de la lune?

(note en tout petit: un article de 1989 paru dans Annals of Emergency Medicine conclut d'une observation des services d'urgence de Pittsburg qu'il n'y a pas de fondement statistique à l'idée que les traumatismes les plus violents ont lieu en période de pleine lune)

Prison

Mystère que cette série de suicides à la prison de Metz. Quatre suicides en cinq mois (voire cinq?). Il y a eu ceux du début de l'été: le 21 mai, un homme de 20 ans; le 2 juin un homme de 27 ans, et le 3 juillet un homme de 46 ans; tous les trois étaient suivis au Service Médico-Psychiatrique Régional, une structure hospitalière spécifique qui se trouve hébergée dans le centre pénitentiaire. Les avocats des familles dénoncent un manque de suivi, certes d'autant plus regrettable que ces personnes faisaient partie d'une population à risque identifiée au sein de la prison.

Mais que dire du dernier suicide ? ou plutôt des quatre tentatives de ces derniers jours, dont une a terminé de façon tragique et vaut un déplacement de la Garde des Sceaux (deux autres ont été décrochés de justesse, quid du 4e ? Le Républicain Lorrain indique que la semaine dernière, un individu a 'succombé à sa pendaison' - RL 9/10/08 ; cela signifie-t-il que, mort à l'hôpital, il ne ferait pas partie des statistiques pénitentiaires?).
La prison de Metz est de construction récente, et elle n'est pas particulièrement surpeuplée. Les prévenus sont dans des secteurs séparés des condamnés. Les mineurs ont leur quartier spécifique. On peut toujours dénoncer un manque de moyens, qui frappe aussi (et peut être encore davatage) les autres prisons, mais pourquoi cette série de suicides dans un établissement jugé 'modèle'?

On avance maintenant une nouvelle hypothèse pour expliquer la série récente des suicides/tentatives. Selon le RL encore, la direction du centre pénitentiaire fait état de rumeurs, selon lesquelles au quartier des mineurs certains éléments incitent leurs camarades à menacer de se pendre afin d'obtenir certains 'privilèges': une télévision, un changement de cellule, etc. Les surveillants, dès le mois d'août, dénonçaient le climat délétère au quartier des mineurs, et le chantage au suicide. On ignore ce que Nabil voulait. Il avait 16 ans et venait de prendre 6 mois fermes pour trafic de stup et conduite sans permis. Qu'un jeu pervers et stupide soit à l'origine de son suicide n'enlève rien à la responsabilité du système dans sa mort; au contraire; on y voit bien que la prison ne corrige pas l'immaturité. Elle lui donne une portée d'autant plus tragique.

Dans un petit livre éclairant qui vient de paraître, Jean Bérard et Gilles Chantraine dénoncent le "doux rêve d'une prison éducative" à l'origine du nouvel engouement pour l'incarcération des mineurs: "l'utopie correctrice qui a traversé la conception des EPM [Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs
] a tout de suite rencontré ses limites, manifestée par la violence au sein de ses établissements"(p.120). Le titre du livre semble futuriste au premier abord; on comprend rapidement que c'est une projection tout à fait réaliste de l'administration pénitentiaire qui nous invite à poser la question de l'inflation carcérale: 80 000 détenus en 2017? Pourquoi, et pour quoi faire?

samedi 4 octobre 2008

Asile: cas d'étude

Pour demander l'asile en France, il faut d'abord aller à la préfecture demander une 'autorisation provisoire de séjour - APS' (si on est entré de façon irrégulière). La préfecture prend les empreintes digitales du demandeur, et le convoque à un rendez-vous (en pratique, environ un mois plus tard). C'est alors que sera remis (ou non) un papier vert d'APS et un dossier de demande d'asile à remettre à l'OFPRA, l'organisme en charge de la détermination du statut de réfugié.
La prise des empreintes vise avant tout à contrôler que le demandeur d'asile n'est pas entré par un autre pays européen qui s'en trouverait alors responsable. Il s'agit de l'application concrète de la Convention de Dublin "relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres des Communautés européennes" (convention signée en 1990, entrée en vigueur en 1997 et renforcée en 2003). Voyons l'esprit de cette convention, dans l'exposé des motifs:

Considérant l'objectif, fixé par le Conseil européen de Strasbourg des 8-9 décembre 1989, d'une harmonisation de leurs politiques d'asile ;

Décidés, par fidélité à leur tradition humanitaire commune, à garantir aux réfugiés une protection appropriée, conformément aux dispositions de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, modifiée par le Protocole de New York du 31 janvier 1967, relatifs au statut des réfugiés et ci-après dénommés respectivement " Convention de Genève " et " Protocole de New York " ;
Considérant l'objectif commun d'un espace sans frontières intérieures au sein duquel sera notamment garantie la libre circulation des personnes selon les dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne, tel que modifié par l'Acte unique européen ;
Conscients de la nécessité de prendre des mesures afin d'éviter que la réalisation de cet objectif n'engendre des situations aboutissant à laisser trop longtemps un demandeur dans l'incertitude sur la suite susceptible d'être donnée à sa demande et soucieux de donner à tout demandeur d'asile la garantie que sa demande sera examinée par l'un des Etats membres et d'éviter que les demandeurs d'asile ne soient renvoyés successivement d'un Etat membre à un autre sans qu'aucun de ces Etats ne se reconnaisse compétent pour l'examen de la demande d'asile ;
Soucieux de poursuivre le dialogue engagé avec le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés pour atteindre les objectifs exposés ci-dessus ;
Décidés à mettre en oeuvre pour l'application de la présente Convention une coopération étroite par divers moyens parmi lesquels des échanges d'informations,
Ont décidé de conclure la présente Convention (...)
C'est donc avec ces motifs très nobles que les Etats européens se mettent d'accord pour restreindre les conditions de demande d'asile. En rappelant à longueur d'article que c'est le pays par lequel le demandeur d'asile est entré (sauf exceptions énumérées: visa, liens familiaux etc), la convention vise ainsi à éviter l' "asylum shopping", i.e. éviter que les étrangers 'choisissent' le pays dont les condiions d'accueil sont les plus favorables, ou bien que ceux dont la demande d'asile a été refusée dans un pays aillent tenter leur chance dans un autre.

Voilà les textes. Jolis, humanistes et tout. Maintenant voici leur application.

Fatima (nom modifié), Soudanaise, 24 ans. Employée dans une petite entreprise de Khartoum. En 2006, le patron de son entreprise, qui avait des fonctions importantes dans l'appareil d'Etat soudanais, refuse une mission liée au conflit du Darfour et devient, de fait, un opposant politique. Il s'enfuit en Egypte. Son frère, qui travaillait dans son entreprise, et Fatima, sont alors inquiétés par la police par mesure de représaille. D'abord intimidés, ils sont ensuite arrêtés, battus. Fatima est violée. Elle décide alors de s'enfuir, via la Syrie, puis la Turquie. Le bateau du passeur est intercepté au large des côtes grecques. Les clandestins sont débarqués, on prend leurs empreintes, et ils sont refoulés avant même de pouvoir déposer une demande d'asile. Fatima se retrouve en Turquie, où elle est détenue pendant un mois. Perdue et découragée elle retourne au Soudan.

Deux semaines à peine après son retour elle est de nouveau arrêtée, battue et violée. Elle s'enfuit à nouveau, via la Libye cette fois. Elle arrive en bateau à Marseille et se rend à la préfecture pour demander l'asile. On lui prend ses empreintes. Elles sont dans le fichier, indiquant qu'elle est entrée sur le territoire européen par la Grèce. La France n'est donc pas responsable de sa demande d'asile. On lui notifie une invitation à quitter le territoire français dans un délai d'un mois. Elle ne peut pas déposer de demande d'asile.

Lecteur/Lectrice, si tu es avocat-e et si tu peux nous aider, MERCI de nous contacter en laissant un message en commentaire (qui ne sera pas publié s'il contient des coordonnées).

vendredi 3 octobre 2008

Poésie et politique

Le dernier message de mon blog "Yasmine in Seattle" rendait hommage à Mahmoud Darwish, et donnait à lire un de ses plus beaux poèmes d'amour, Jasmin sur les nuit de juillet. Darwish était connu des média pour la dimension politique de son oeuvre, lui qui a été militant de l'OLP dès la première heure et a porté les armes à Beyrouth. Mais ce n'est pas cet engagement politique qui a fait de lui un grand poète. Comme pour René Char, c'est la profondeur de la poésie pure qui fait résonner ses mots par delà les époques et les frontières. L'intensité de l'homme terré enterré mort qui se demande s'il vit encore dans les décombres de la ville assiégée ( "Une mémoire pour l'oubli"). La densité de la nostalgie qui surgit à la seule évocation de l'odeur du café de sa mère, et de l'olivier. L'étonnement du philosophe qui rend dérisoires les frontières.

J'ai vu le film 'Le sel de la mer' d'Annemarie Jacir. C'est un peu le contraire de Darwich. Un film politique intéressant mais qui manque de profondeur et d'intensité poétique. Dans ce film qui met en scène la relation d'une Américaine d'origine palestinienne qui rêve de retour, et un Palestinien bloqué par l'occupation qui rêve d'émigrer, on voit à peu près tout les acteurs du conflit: les Israéliens, les Palestiniens occupés, les douaniers humiliants, l'armée arbitraire, le banquier cupide de Cisjordanie, le village détruit, le check-point, le colon, l'Israélienne militante de la paix... C'est un exposé assez pédagogique qui en même temps explore la question intéressante du rapport à la Terre de ces enfants de réfugiés qui ont grandi ailleurs.

Suheir Hammad, l'actrice principale, a grandi à Brooklyn. C'est une poétesse, qui excelle dans le 'spoken word', cette poésie parlée qui s'énonce et s'élance et rebondit et écrit les mots dans la voix et dans le corps. J'ai eu la chance de la rencontrer à Olympia (Washington) lors d'un déjeuner organisé par des militants contre l'occupation - la principale organisatrice était la mère de Rachel Corrie, une jeune militante des droits humains qui avait été tuée par un bulldozer israélien alors qu'elle protestait contre les destructions de maisons en Cisjordanie, en mars 2003. Il y avait aussi Dahr Jamail ce jour là, un courageux journaliste qui a couvert la guerre en Irak 'unembedded', c'est-à-dire non embrigadé dans une unité de combat. La discussion avait porté essentiellement sur la guerre en Iraq. Suheir apportait la fraîcheur et la force de sa poésie.
C'est ce qui m'a manqué dans le film. Elle est là, trop naturelle, tellement exactement comme les jeunes Palestiniennes Américaines que j'ai rencontrées, qui maîtrisent parfaitement le langage du droit et exige que réparation soit faite à leurs ancêtres, et, venant d'Amérique, ne sont pas prêtes à tolérer les humiliations de l'occupation. Trop naturelle parce qu'elle a abandonné (sauf dans cette scène, forte, de confrontation avec la militante pour la paix qui occupe la maison de son grand père à Jaffa), le rythme hip hop qui fait vibrer sa colère dans sa 'Def Poetry'. Trop naturelle parce qu'alors on n'entre pas dans sa tête, son sourire et ses cheveux fous ne nous laissent pas voir ses dilemmes, les silences, la poésie qui transcende les contingences. Bref, dans ce film elle est idéaliste mais on manque d'absolu...

Revenons alors à la poésie.

Premiers mots

ce blog prend la suite du blog intitulé 'Yasmine in Seattle' (http://yasmineinseattle.blogspot.com/). En effet je ne me trouve plus dans la ville Emeraude, alors ce titre ne faisait plus trop de sens, bien que je me fusse permis auparavant des entorses à la précision géographique.
Ce nouveau blog ne sera pas un journal de voyage (contrairement à l'éphémère blog d'Iran écrit en mauvais anglais à destination de mes amis américains: http://yasmineiniran.blogspot.com/) , et je ne pourrai plus m'appuyer sur l'exotisme ou la distance pour maintenir l'intérêt de mes lecteurs...Mais comme je suis une pipelette et que je ne veux pas dépendre exclusivement de Facebook pour dire mon avis sur les choses, il me fallait maintenir un espace d'accès public. Je ne garantis pas de la périodicité cependant... Alors bonne lecture...