mardi 14 octobre 2008

RSA, un acronyme de plus?

Hier soir (lundi 13 octobre) en salle Dussane de l'Ecole Normale Supérieure. L'association Pollens et Regards Croisés sur l'Economie proposaient un débat sur la nouvelle mesure anti-pauvreté: le Revenu de Solidarité Active. Salle comble: Martin Hisch, le père de la mesure, François Bourguignon, l'évaluateur, et Olivier Ferrand, le rabat-joie, sont présents pour exposer leurs arguments, sous l'arbitrage du journaliste du Monde Rémi Barroux. Ce dernier lance le débat, les pieds dans le plat: "A l'heure de la crise, alors qu'on est capable de trouver des centaines de milliards pour les banques, la classe politique a-t-elle vraiment envie du RSA puisqu'elle rechigne à lui consacrer 1,5 milliards d'euros?".
Hirsch répond qu'en effet, on a du mal à imposer une nouvelle mesure sociale: il y a une certaine lassitude, suite à l'accumulation des mesures qui ont été prises depuis vingt ans, le RMI, la Prime pour l'emploi, les APL etc, et qui n'ont pas résolu le problème de la pauvreté. Il y a un certain scepticisme ambiant qui tend à miner les politiques alors même que la pauvreté a cessé de diminuer en France depuis plus de 10 ans. Il y a 7 millions de personnes sous le seuil de pauvreté. La moitié sont des exclus du travail, l'autre moitié sont des travailleurs pauvres. On croyait que les "working poor" c'était un phénomène américain lié à la déréglementation du travail, et pourtant, en France, malgré la hausse du salaire minimum, il y a de plus en plus de travailleurs pauvres. Le phénomène de la pauvreté n'est donc pas identique au phénomène du chômage.
Le RSA a trois objectifs : rationaliser et coordonner les multiples aides existantes, faciliter le retour au travail, réduire la pauvreté de ceux qui travaillent.
Jusque là, toutes les propositions de lutte contre la pauvreté ont échoué à cause de l'absence d'accord entre la gauche, la droite et tous les partenaires sociaux. Les uns proposaient une augmentation du SMIC, les autres une revalorisation du RMI, et personne ne voyait comment résoudre le problème de l'écart entre les deux. Pour sortir de l'impasse, il fallait s'assurer que toute augmentation de travail augmente les revenus (au lieu que, par un effet de seuil, on risque de baisser ses revenus en travaillant, par la suppression brutale des aides associées au RMI). Le RSA propose donc une fusion du RMI et de la Prime pour l'Emploi. Le RMI avait été créé à l'origine pour les gens dans l'incapacité de travailler. Or il y a actullement 1, 2 millions de RMIstes, dont 1/4 se disent capables de travailler. Le RSA se conçoit donc comme un instrument de substitut de revenu pour les sans travail et un complément de revenu pour ceux qui travaillent.
Procédure originale en France, le RSA a fait l'objet d'une expérimentation dans plusieurs départements avant que sa généralisation ne soit envisagée dans toute la France. François Bourguignon est président du comité d'évaluation. Il rappelle que, lorsqu'il était au Conseil d'Analyse Economique, il avait dénoncé dans le RMI un phénomène de 'trappe à pauvreté' qui avait un effet désincitatif sur la reprise de l'emploi, d'où la création dela prime pour l'emploi.
L'expérimentation pour le RSA est un dispositif exceptionnel en France, bien que pratiqué plus couramment dans d'autres pays (Etats-Unis, Canada). Comparant des zones test et des zones témoin dans un même département, on constate qu'il y a des taux de retour à l'emploi supérieurs dans les zones RSA. L'évaluation est encore imprécise mais montre bien une différence. A ce stade pourtant il est difficile de savoir si c'est le dispositif lui-même, ou bien sa nouveauté, qui crée une différence.
La parole maintenant à Olivier Ferrand, du 'think tank' de gauche Terra Nova, qui va jouer le rôle de rabat-joie, axant ses critiques sur trois points:
- le RSA ne vise que les travailleurs pauvres et abandonne les chômeurs; il ne permet pas une revalorisation du RMI (revalorisé de 1,2% cette année alors que l'inflation était de 3%)
- il est financé principalement en ponctionnant la Prime pour l'Emploi, ce qui revient à dépouiller les pauvres pour redonner aux pauvres, au lieu de s'attaquer aux riches qui sont protégés par les 'niches fiscales'
- le principe de retour à l'emploi repose sur des contrats aidés qui sont de moins en moins garantis par l'Etat. En plus, beaucoup d'études montrent que ce n'est pas l'incitation financière qui permet un retour à l'emploi. Et quant à la simplification administrative, ce n'est qu'un détail.
Ferrrand conclut d'un vibrant: "le RSA de droite, c'est bien différent d'un RSA de gauche!' ...

Un peu vexé de l'attaque, Hirsch rétorque vivement. Oui le RMI est trop bas, bien en dessous du seuil de pauvreté, et décroche par rapport à l'inflation; il faudrait reprendre le débat sur les minima sociaux au lieu de faire des primes de Noël! Mais en ce qui concerne le RSA, il s'agissait de viser l'efficacité afin que les gens arrêtent de dire que la politique sociale ne sert à rien. Le RSA, ce n'est pas une dégradante opposition entre salariés pauvres et chômeurs pauvres, au contraire, puisqu'il permet un continuum. Concernant le financement, la prime pour l'emploi était actuellement plafonnée à 4,7 SMIC. En reprendre n'était pas choquant. Mais il fallait s'attaquer aussi aux niches fiscales, d'où cette mesure sur un impôt sur les revenus du capital.
Et la simplification administrative est loin d'être un détail: la complexité des multiples aides a des effets très concrets sur les familles qui se voient réclamer des remboursements d' "indus" (aides versés à quelqu'un qui ne remplissait plus les critères) alors qu'elles sont déjà en difficulté financière.
Bourguignon répond sur l'effet emploi: on fait des mesures justement pour évaluer cela, et jusqu'ici les évaluations montrent qu'il y a un effet emploi... Mais en effet, c'est peut être l'accompagnement, et pas l'incitation financière, qui a un effet, il est un peu tôt pour affiner l'analyse.

Questions de la salle.
- que fait-on des 18-25 ans (pas concernés par le RMI) ?
-MH. Il va falloir inventer des dispositifs spécifiques. Il y a eu de nombreuses discussions et certains partenaires sociaux dénonçaient un risque à faire des jeunes des allocataires du RMI dès 18 ans.
- pourquoi généraliser si rapidement avant d'avoir des résultats complets de l'expérimentation?
- MH. On avait peur que, si on attendait trop, il n'y ait plus d'argent. Et quand on voit le contexte actuel (la crise financière), on se dit qu'on n'est pas passé loin !
- comment éviter que les effets de trappe du RMi ne se reproduisent avec le RSA?
- MH: le système des aides connexes va changer. Il y aura une réduction progressive de ces aides (transport, logement, CMU etc), qui permettra de lisser les effets de seuil.
- RB. On voit que le RSA fonctionne bien avec les contrats aidés, on peut se demander alors s'il peut fonctionner sans, et s'il peut fonctionner dans un contexte de reprise du chômage?
- MH. C'est en effet une question. Mais sur les contrats aidés, cela ne concernait que 1/3 des reprises de travail, les 2/3 étaient des contrats classiques.
-OF. Il faudrait pour mieux lutter contre la pauvreté que le RMI soit indexé sur le pouvoir d'achat, et que le RSA soit intégré dans une politique plus large: sécurisation des parcours professionnels, création d'emploi, lutte contre le travail précaire. Le RSA risque en effet de financer le travail à temps partiel.
- FB. Oui il risque de rendre le travail à temps partiel plus attractif, mais alors il faudra distinguer le temps partiel subi et le temps partiel choisi.

(je passe sur le revenu d'existence, qui fera l'objet d'un post à part lorsque j'aurai vraiment compris de quoi il s'agit)

En nous quittant, MH annonce la tenue en novembre prochain d'un forum à Grenoble sur l'expérimentation sociale. Et réaffirme son credo: le RSA ne procède pas d'un changement moral sur les travailleurs, mais sur la société qui autorise actuellement le travail gratuit (ie qu'on ne gagne rien en reprenant le travail et en renonçant au RMI), une forme moderne de l'esclavage.


(Merci à Vincent Braconnay pour ses notes précises et ses explications sur la taxation à 100% des travailleurs pauvres)

Pour en savoir plus, voir le "site de propagande officielle" dixit Martin Hirsch, ou le dernier numéro de RCE.

Aucun commentaire: