mardi 18 décembre 2012

Les bêtes du sud sauvage

Le Bassin est une contrée à la marge, loin de la ville et de ses usines, à la lisière de la mer qui risque de nous engloutir tous. Hushpuppy y vit avec son père alcoolique et le vieux t-shirt qui lui rappelle sa maman. Ils ne sont qu'une poignée de résistants à refuser de quitter le bayou, malgré la tempête, malgré la montée des eaux, malgré la venue des bêtes sauvages terrifiantes. C'est une famille un peu déglinguée, faite de bric et de broc, brinquebalante comme dans les cabanes dans lesquelles ils vivent, mais, comme ces cabanes qui se transforment en radeau et flottent, ils se tiennent la tête hors de l'eau. Lorsque quelqu'un meurt, on boit et on chante pour ne pas pleurer. Il ne faut pas pleurer, ne pas être faible, cela attire les bêtes sauvages qui vont nous dévorer.

Ancré dans la Louisiane, ses paysages et ses musiques, les Bêtes du Sud Sauvage est une parabole sur la catastrophe (Katrina), la violence de la société américaine, la vulnérabilité des marginaux. Mais c'est surtout un conte poétique et puissant, porté par le regard d'un enfant, petite fille-petit mec à la chevelure folle et au regard intense, qui écoute battre le coeur des animaux. Placée de force dans un refuge aseptisé, déguisée en petite fille, elle n'est plus elle-même : son monde, c'est celui de l'autre côté de la digue, du côté de la nature et des éléments, même destructeurs, morbides et terrifiants. Hushpuppy, c'est celle qui fait des bras de fer contre un père qu'elle voit mourir, casse les crabes à mains nue, et affronte les aurochs.

Faut-il en rajouter ? c'est un film formidable, il faut aller le voir.


vendredi 19 octobre 2012

Souvenirs.

2004. Dans la mosquée des Omeyyades, à Damas. Sortie familiale autour du baptistère de Saint Jean-Baptiste.

2004. Savonnerie dans la vieille ville d'Alep.

2004. Échoppe d'épices dans le souk d'Alep

2004. Balançoire de rue pour la fête de l'Aïd

2004. Fresque médiévale dans la chapelle du monastère de Mar Mousa

dimanche 16 septembre 2012

Crise d'honneur

Récit. 

N. avait toujours mangé à sa faim, il avait fait travailler les autres pour lui, il avait bénéficié, comme par un droit de seigneur, de tout ce que les autres avaient de meilleur dans leurs champs et dans leurs maisons; bien que sa situation eût beaucoup décliné, il se croyait tout permis, il se sentait le droit de tout exiger, de s'attribuer seul la parole, d'insulter et même de battre ceux qui lui résistaient. Sans doute est-ce pour cela qu'on le tenait pour amahbul. Amahbul, c'est l'individu éhonté et effronté qui outrepasse les limites de la bienséance garante des bonnes relations, c'est celui qui abuse d'un pouvoir arbitraire et commet des actes contraires à ce qu'enseigne l'art de vivre. Ces imahbal (pluriel de amahbul), on les fuit parce qu'on n'aime pas avoir une contestation avec eux, parce qu'ils sont à l'abri de la honte, parce que celui qui s'affronterait à eux serait en tous les cas la victime, même s'il se trouvait avoir raison.
Notre homme avait dans son jardin un mur à construire.Son voisin avait un mur de soutènement. Il jette le mur à bas et transporte chez lui les pierres. Cet acte arbitraire ne s'exerçait pas, cette fois, contre un plus faible: la "victime" avait les moyens, et largement, de se défendre. C'était un homme jeune, fort, comptant beaucoup de frères et de parents, appartenant à une famille nombreuse et puissante. Il était donc évident que s'il ne relevait pas le défi, ce n'était pas par crainte. Par suite, l'opinion publique ne pouvait voir dans cet acte abusif un véritable défi, portant atteinte à l'honneur. Tout au contraire, l'opinion et la victime ont affecté de l'ignorer: en effet, il est absurde de tomber dans une querelle avec un amahbul ; ne dit-on pas "amahbul, fuis-le"?

Le sens de l'honneur. 

C'est le titre de l'essai qui ouvre "Trois études d'ethnologie kabyle", et dont est extraite cette histoire (in Esquisse d'une théorie de la pratique (1972), éd. Points-Seuil, 2000, p.19-60). Pierre Bourdieu, qui se fait alors anthropologue de ce qui reste de la société traditionnelle algérienne, observe comment se pratique l'honneur, à quelles actions correspondent cette notion morale. 
Le sentiment de l'honneur, écrit-il, est "vécu devant les autres": le point d'honneur est avant tout ce qui porte à défendre, à n'importe quel prix, une certaine image de soi, destinée aux autres. L'homme d'honneur n'a qu'une parole, et cette parole engage tout son groupe ; réciproquement, il est engagé solidairement vis-à-vis de son groupe si celui-ci est mis au défi: tout individu a obligation de protéger un parent contre un non-parent. La foi jurée est en même temps fidélité à soi et conformité à la communauté. Elle commande de riposter contre toute attaque, offense, outrage.
Toute ? Non, car "les conduites d'honneur s'imposent seulement à l'égard de ceux qui en sont dignes". En ce sens, l'honneur n'est pas une règle juridique, mais une règle traditionnelle; le système des valeurs, la grammaire des conduites d'honneur sont d'un ordre différent: "l'ethos de l'honneur s'oppose, dans son principe même, à une morale universelle et formelle affirmant l'égale dignité de tous les hommes, et par suite l'identité des droits et des devoirs". Seul l'homme d'honneur a une dignité à défendre, et sa dignité n'est vulnérable que face à un autre homme d'honneur. C'est pourquoi on ne se bat pas avec amahbul, on ne relève pas le gant de qui n'est pas adversaire estimable. 
Pour éclairer le fonctionnement de l'honneur, Bourdieu décline trois règles : premièrement, "pour qu'il y ait défi, il faut que celui qui le lance estime celui qui le reçoit digne d'être défié, c'est-à-dire capable de relever le défi, bref, le reconnaisse comme son égal en honneur" ; deuxièmement, "celui qui défie un homme incapable de relever le défi, c'est-à-dire incapable de poursuivre l'échange engagé, se déshonore lui-même" ; troisièmement, "seul un défi (ou une offense) lancé par un homme égal en honneur mérite d'être relevé".

Barbus sourcilleux.

Comment alors ne serait-il pas absurde, et même dégradant, de répondre à une insulte lancée par une vidéo potache et vulgaire sur un site internet ? Comment comprendre le soulèvement des musulmans pour riposter contre une poignée de jeunes au goût douteux et à l'humour très en dessous de la ceinture ?

Ces manifestations - qui ont agité ces derniers jours l'Egypte, la Libye, la Tunisie, le Soudan, le Yémen, le Pakistan, l'Irak, l'Iran -  interviennent six ans après l'affaire des caricatures du Jyllands Posten. Elles semblent rappeler périodiquement la gravité de la crise que traversent un ensemble de pays plus ou moins liés les uns aux autres par des référents religieux communs, et/ou une langue commune, et/ou des médias communs et des forums de coopération ou d'échange partagés. A ceux qui pensaient que le printemps arabe aurait apporté une réponse démocratique à cette crise, cette nouvelle flambée apporte un démenti cinglant.

Petit rappel des faits: en juillet 2012, un film amateur parodiant l'histoire sainte musulmane sur le modèle de La vie de Brian est posté sur internet ; "The innocence of Muslim" ne fait pas la une de la critique cinématographique: c'est une sorte d'auto-production potache, faite de bouts de ficelles et d'acteurs ratés, sur un ton qui ne cherche pas à dépasser les soirées de beuverie des frat boys américains. Hasard d'internet ou succès de l'auteur dans la promotion de son film, la chose arrive aux oreilles de relais médiatiques importants, un bloggeur copte, déchu de sa nationalité égyptienne tant ses propos outrageants ont énervé les autorités ; et un évangéliste de Floride connu pour avoir appelé à brûler des exemplaires du Coran et créé un important incident diplomatique. C'est la diffusion par la chaîne égyptienne Al-Nas qui met le feu aux poudres: chaîne conservatrice, et même ouvertement islamiste, la chaîne est notamment représentée par un animateur de tendance salafiste (un courant rigoriste qui s'oppose aux Frères Musulmans) ; le 8 septembre, il montre des extraits du film (doublé en arabe) dans une émission populaire, et ensuite poste des extraits sur internet. La vidéo se diffuse ensuite comme une traînée de poudre, et dès le 11 septembre des manifestations éclatent en Egypte et en Libye particulièrement. Le consulat américain de Benghazi est pris d'assaut, l'ambassadeur américain qui se trouvait là, ainsi que deux fonctionnaires, sont tués (cette attaque du consulat, le jour anniversaire des attentats de 2001 sera revendiquée plus tard comme une riposte à l'assassinat d'un chef d'Al-Qaïda). Les manifestations se multiplient. Vendredi 14 septembre, elles touchent des dizaines de pays, causent plusieurs morts et des dizaines de blessés. Pourquoi est-ce une vidéo aussi absurde qui déchaîne tant de passions internationales là où la profanation de Corans par des militaires américains en Afghanistan n'avait causé des réactions violentes qu'au niveau local?

On peut s'interroger sur le caractère spontané de ces réactions. La diffusion de la vidéo suggère qu'elle a été largement instrumentalisée, tant côté américain (n'oublions pas que les élections présidentielles auront lieu dans deux mois) que côté arabe (les révolutions ont laissé un terrain que laïcs, Frères musulmans et salafistes se disputent, et ce tout particulièrement en Egypte, en Libye et en Tunisie). Les images des manifestations du vendredi 14 septembre montrent que les manifestants, peu nombreux (quelques centaines), étaient souvent de jeunes hommes, dont certains portaient des signes distinctifs d'appartenance à des groupes salafistes (voir par exemple les images de l'assaut de l'ambassade américaine à Tunis). Ces manifestations, et l'ampleur de l'indignation soulevée parmi les musulmans, ne sauraient être minimisées- bien que l'affaire soit déjà hors des radars en France. Il n'est pas seulement question d'affaires internes, de conflits de pouvoir et de cuisine politique. Il est aussi question d'honneur, d'un honneur mal placé sans doute, trop vulnérable à l'ère d'internet et des nouvelles technologies de la communication, mais d'un honneur que des millions de personnes estiment bafoué, méprisé, foulé aux pieds. Pourquoi les musulmans sont-ils si susceptibles ? L'auto-dérision et le sens de l'humour étaient pourtant une question de survie sous les régimes dictatoriaux que les soulèvements de 2011 ont attaqués. 

Alors que ces manifestations réclament à la fois la restriction de la liberté d'expression, et l'application d'un droit international censé protéger la religion de chacun, il est tentant de suggérer l'hypothèse d'un dérèglement du sens de l'honneur dans un contexte mondialisé, où les normes internationales ont pris une importance considérable, tout en étant appliquées de manière asymétrique. C'est un ordre inégalitaire qu'elles instaurent, et dans cet ordre, les pays musulmans se voient comme les dominés. C'est en Afghanistan et en Iraq qu'on peut combattre sans être soumis aux lois de la guerre contrôlées par la Cour pénale internationale par exemple, tandis qu'en Libye ou au Soudan ce tribunal du droit universel inculpe des dirigeants ; si Israël cristallise tant les passions ce n'est pas seulement parce que la Palestine figure l'Andalousie perdue d'un âge d'or de l'islam, que parce que sur son petit territoire se trouvent concentrées toutes ces contradictions d'un droit inéquitable. Les groupes salafistes font leur miel de ces contradictions, qui légitiment pour eux le rejet du droit positif au profit du droit religieux. Ces enjeux globaux apparaissent de manière flagrante dans les répertoires d'action choisis par les manifestants : brûler des drapeaux, s'attaquer aux ambassades et à leur personnel. Il s'agit de riposter sur des symboles étatiques, et dans un registre politique. On aurait pu imaginer d'autres types de protestation : des manifestations pacifiques psalmodiant le Coran, des satires grossières de l'Amérique ou de la chrétienté postées sur internet... Mais la montée en généralité opérée par le fait de s'adresser à l'Etat (plutôt qu'à l'auteur de la vidéo, dont l'identité demeure obscure), et la violence des moyens d'action, appellent deux réflexions. 

Tout d'abord que, dans ce sens de l'honneur déréglé, hypertrophié, les manifestants réagissent malgré tout selon la logique traditionnelle. Ce n'est pas directement au amahbul qu'ils s'adressent, mais à ceux qui, "proches" de lui (ne serait-ce que par responsabilité institutionnelle), peuvent le "raisonner". C'est la suite de l'histoire de Bourdieu. 

La victime s'en fut trouver le frère du coupable. Celui-ci donnait raison au plaignant mais s'interrogeait sur les moyens de faire entendre raison à l'amahbul. Il fit comprendre à son interlocuteur qu'il avait eu tort de ne pas réagir avec la même viomlence sur le champ. (...) Alors, le visiteur, changeant brusquement d'attitude, s'indigna: "Oh, Si M., pour qui me prends-tu? Crois-tu que j'accepterais d'avoir une discussion avec Si N. pour quelques pierres? Je suis venu te voir, toi, parce que je sais que tu es sage et qu'avec toi je puis parler, que tu me comprendras, je ne suis pas venu demander qu'on me paie les pierres (...)  car ce que Si N. a fait, il faut être amahbul  pour le faire et moi, je ne vais pas me jeter moi-même dans la honte avec un amahbul. Je fais remarquer seulement que ce n'est pas avec de tels procédés que l'on bâtit une maison licite, juste"
Dans l'histoire de Bourdieu, le litige se résout par la parole. Celui qui se met en colère contre l'amahbul est lui-même amahbul. Pour préserver son honneur il se doit de débattre de son litige dignement, avec qui est digne (dans l'histoire, le frère). Ce qui manque, dans notre affaire de vidéo, c'est la médiation de la parole. Cris, hurlements, jets de pierre et de cocktails molotov ne font pas de soi un interlocuteur digne. Simplement une foule sauvage. Il est urgent de retrouver la parole: non pas celle d'un verbe divin diffusé en boucle sur des cassettes nasillardes dans les boutiques, les taxis, les rues et les cafés de Tunis, du Caire, de Damas ou Karachi ; mais celle d'un verbe humain qui pense, aime, débat. Dans des pays qui se vantaient d'avoir autrefois les plus grandes universités et bibliothèques du monde (la Maison de la Sagesse ; la Zitouna ; Al-Azhar...), on ne trouve, sur les étals des bouquinistes, qu'exégèses du Coran, manuels de cuisine, et essais sur le complot américano-sioniste. Retrouver la fierté dans la parole, celle qui s'écrit plutôt qu'elle ne se crie, est premier défi d'un monde arabe qui recherche sa voix propre.


jeudi 10 mai 2012

La vie après

Le film raconte l'histoire d'une jeune femme qui épouse son amoureux à Pripiets un 26 avril 1986 ; le printemps est chaud et orageux ; une insouciance champêtre illumine les visages. Mais l'amoureux doit quitter la noce : pompier, il est appelé sur un incendie. Anya se réveille seule le lendemain. Le soleil illumine sa chambre mais, dans sa cage, son canari est mort. Le téléphone s'obstine dans un mutisme exaspérant. Elle hésite entre la colère et l'inquiétude. Se rend à l'hôpital, pâle. Une infirmière sèche consulte ses papiers et lui dit qu'elle ne reverra jamais son amoureux : il a été grièvement brûlé et va être transféré à Moscou ; il est si radioactif, Piotr, qu'il est devenu un réacteur à lui seul. Suivent l'évacuation de la ville "la plus moderne d'Ukraine", le quotidien ailleurs, le retour impossible et l'exil tout aussi inacceptable.

Une catastrophe nucléaire, ce n'est pas un accident technologique. C'est la destruction de l'amour. La destruction de l'avenir. La destruction de l'espoir. La condamnation à l'errance sur une terre devenue maudite et à laquelle malgré tout on est attaché, parce qu'en dépit de son nom, Tchernobyl ("l'Absinthe", breuvage de l'oubli) est celle qu'on ne peut oublier.



"La Terre Outragée" n'est pas un film militant, et ce n'est pas pour des raisons militantes que je conseille d'y aller. Je ne m'empêcherai pas toutefois de rappeler que Lyon, par exemple, est à une vingtaine de kilomètres seulement de la centrale de Bugey, dont les réacteurs ont dépassé les trente ans pour lesquels ils ont été conçus. Dit ainsi cela n'a l'air de rien. D'où l'intérêt du film.

vendredi 9 mars 2012

Contrepoint, vu d'Alep - Domestiquer l'inquiétude

8 mars, vers 23h, je reçois via Facebook des nouvelles de Syrie. Non pas de Homs (toujours coupée des communications) mais d'Alep.
Hassan est un "réfugié" palestinien, qui est né et qui a grandi dans un camp d'Alep. C'est un jeune homme séduisant et très pieux, qui a fait des études de physiques, rêvait de poursuivre un master à l'étranger mais n'a pas trouvé de bourse, et a été embauché comme enseignant dans une école de l'UNRWA, l'agence de l'ONU en charge des réfugiés palestiniens au Proche-Orient. C'est un bon boulot : l'UNRWA paie bien, et le niveau de ses écoles est bien meilleur que celui des écoles du gouvernement syrien. C'est aussi un boulot qui le met relativement à l'abri des aléas économiques actuels. Les travailleurs indépendants, artisans, commerçants, sont très durement touchés par le conflit, et chaque jour la situation devient moins tolérable, l'inquiétude plus lourde.
Si les réfugiés palestiniens ne s'ingèrent pas dans la politique syrienne, selon ses propos, ils en subissent les contrecoups. Et il n'est pas besoin de participer aux manifestations pour se faire son opinion sur la situation. Pour Hassan, si les villes syriennes se soulèvent, c'est que l'injustice et les inégalités entre groupes confessionnels et classes sociales y avaient atteint un degré insupportable. Il ne croit pas à la thèse des groupes organisés, mais concède que ceux ci prennent forme désormais.
Au niveau sécuritaire, le quotidien à Alep est à peu près normal hormis quelques "escarmouches", et des attentats sanglants le 10 février dernier (que personne ne sait à qui attribuer: ils ont frappé les locaux de la sûreté militaire). Mais on suit de près la situation à Idlib (non loin d'Alep, plus proche de la frontière turque), où l'on craint que la violence des opérations militaires menées à Homs ne se reproduise.
Pour Hassan comme pour Walid, à mille lieues l'un de l'autre tant sur le plan social que politique et confessionnel, il n'y a de perspective de salut qu'à l'étranger. Chacun rêve de partir construire une vie meilleure ailleurs.

12 mars. En entendant les informations à la radio ce soir, je regrettais que mon amie Sofia n'ait pas décidé d'émigrer elle aussi. Son mari avait vécu au Canada, un de ses frères vit aux Etats-Unis, un autre en Grande-Bretagne. Que fait-elle à Homs, dans ce piège où l'on égorge les familles dans leur maison, avant de brûler les corps à l'essence ? Je n'ai pas voulu regarder les vidéos sur internet, de peur de reconnaître dans les cadavres outragés les traits des êtres chers. de projeter mes peurs sans que le flou des pixels puisse apporter de démenti rassurant. Me revenaient comme des flashes ces images terrifiantes montrées par une réfugiée iraquienne que j'avais rencontrée à Damas en 2007 (voir article en anglais), et qui me racontait comment son père avait été enlevé par des milices, et son cadavre calciné jeté sur le trottoir devant la maison quelques semaines plus tard ; elle avait conservé une photo du corps mutilé, déformé, monstrueux, comme preuve de ses souffrances et justification à son exil. Images terrifiantes qui me hantent depuis que j'ai entendu le journal du soir évoquer ce massacre à Homs, dans le quartier de mon amie. Comme si on me disait "Belleville est sous les bombes, toutes les communications sont coupées, et au fait on a retrouvé les corps de dizaines de personnes égorgées et aspergées d'essence - regardez la vidéo comme c'est horrible". Sofia m'est proche comme une soeur. Ces annonces me retournent l'estomac. Il faut écrire pour apprivoiser l'inquiétude, et la douleur de la distance. Espérer : la sortie, la fuite, le refuge. Un village à la campagne, le Liban, l'ailleurs. Construire de mots une demeure protectrice, fût-ce une maigre cabane en bois face à une météorite. Attendre.

Post-scriptum. Pour rassurer mes lecteurs : Sofia va très bien aux dernières nouvelles. Fin avril la ligne téléphonique a été rétablie dans son quartier. Les militaires sécurisent le voisinage, et jouent au foot avec les enfants dans la rue. Lorsqu'ils ont fait irruption chez elle, ils ont été très gentils, parce que les enfants ont brandi des portraits du président (imprimés sur les cahiers d'écoliers...) ; heureusement que ceux qui défonçaient la porte de la cour étaient les militaires loyalistes et pas les rebelles, souffla Sofia. Mais tout va bien, réitère-t-elle. Les enfants vont même à l'école, grâce à Caritas, qui organise des cours alors que les écoles publiques sont fermées. On espère que la situation va se calmer. Sofia a eu un visa pour les Etats-Unis mais dit qu'elle ne partira pas. La Syrie, c'est son pays. Pendant ce temps, son petit frère est parti avec Nokia au Soudan, où la guerre a éclaté ; il se dit qu'il porte malheur, mieux vaudrait pour moi qu'il ne réponde pas à mon invitation de venir visiter la France. Il se dit qu'il pourrait travailler pour l'ONU, vu que partout où ses pas le portent il y a la guerre... 

mercredi 22 février 2012

La Syrie, de loin



Il y a bientôt un an, alors que je m'apprêtais à partir pour découvrir la Tunisie de l'après-révolution, je reçois un appel chez moi. C'est Sofia, ma copine de Homs. Sofia n'appelle jamais, les communications sont très chères depuis la Syrie : c'est moi qui appelle d'habitude. Je l'avais eue au téléphone quelques semaines auparavant, au début du soulèvement de Deraa. Tout allait bien à Homs alors.
Mais ce soir d'avril 2011, Sofia était paniquée : il y a des milices armées qui tirent dans la rue, me dit-elle. J'entendais les coups de feu. Je m'imaginais sa maison, qui ne donne pas sur la rue mais sur une cour : les tireurs devaient être bien proches pour qu'on les entende jusque dans son salon. Je m'imaginais sa rue, très calme, proche du centre ville mais à l'écart de l'agitation. Le quartier de 'Adawiyé est un quartier mixte, composé principalement de chrétiens et de musulmans sunnites, petites classes moyennes, vivant dans des immeubles ou maisons de deux-trois étages. Je n'arrivais pas à placer son récit dans ce paysage urbain paisible : l'irruption, en Suzuki blanches, de miliciens armés de kalachnikov et tirant à tout va. Homs a la réputation d'être une ville "bonne pâte"; ce sont un peu les Belges de la Syrie, on se moque gentiment d'eux, toute blague met en scène des Homsiotes, mais au fond tout le monde leur reconnaît une réputation sympathique.
Le régime par contre avait une réputation sanguinaire bien établie. Les récits des tortures d'enfants à Deraa par la sûreté syrienne correspondaient bien à cette image. Les "moukhabarat", ces informateurs piliers du régime, étaient honnis de tous et même de ceux qui collaborent avec eux. Jugés cupides et sans morale, ils avaient inspiré le personnage du méchant pédophile dans une série télévisée populaire diffusée en 2009 (le feuilleton du ramadan : "Nuages d'été").
Je demandai donc à Sofia : mais qui sont ces miliciens ? des proches du régime ? contre qui se battent-ils ?
"Non, non tu ne comprends pas", me dit-elle. "Ce sont des rebelles, je ne sais pas d'où ils viennent, c'est sûr ils ne sont pas du quartier. Ils doivent être armés par l'étranger, vraiment je ne comprends pas ce qui se passe. La télévision dit n'importe quoi !" Ce soir là Sofia était très agitée, j'ai convenu de la rappeler à mon retour.

Je revins très enthousiaste de Tunisie : un vent de liberté avait soulevé tous les baillons, les gens parlaient, s'interpellaient dans la rue au sujet des nouveaux partis qui poussaient comme des bourgeons printaniers, improvisaient des meetings sur les places publiques, se questionnaient sur ce que signifiait "communisme", "libéralisme" ou "écologie". Le programme politique d'Ennahda semblait plus rassurant, on s'était familiarisé avec les préceptes de l'islam depuis les cours d'éducation religieuse à l'école jusqu'aux concours de mémorisation du Coran à la télé, et surtout la tradition religieuse paraissait un bon rempart contre les influences extérieures. Les analystes qui décrivaient les révolutions arabes comme l' échec de l'islam politique me faisaient bien rire, donc, mais je ne rejoignais pas les grincheux qui disaient que rien n'avait changé. Début mai, je racontai mon voyage en Tunisie à Sofia, émerveillée. Le mot "jasmin" (et mon prénom, donc) étaient censuré sur l'internet syrien. Elle m'expliqua que, bien qu'elle aussi souhaitât des réformes démocratiques en Syrie, la situation était différente de la Tunisie. Les gens, en Syrie, ne voulaient pas le départ de Bashar, la population l'aimait bien, mais simplement, "il y a des gens corrompus autour de lui, le gouverneur de Homs par exemple, lui on veut qu'il parte". Sofia connaissait les limites à ne pas franchir au téléphone, mais savait aussi dire les choses : elle en avait suffisamment appris, comme épouse d'un exilé politique pendant huit ans, à garder la tête haute en dépit des menaces. Je m'étonnais de son discours. Je lui demandai ce qu'elle pensait des manifestations. "Ce sont des gens qui sont payés pour descendre dans la rue. Des bons-à-rien, des voleurs, des bouchers et des vendeurs à la sauvette".
Je comprenais sa position : Chrétienne minoritaire dans un pays très majoritairement sunnite, elle avait des raisons de craindre les conséquences d'un renversement du régime qui, bien que dictatorial, maintenait une relative paix civile pour les Arabes (quant à la situation des Kurdes, on se reportera à mon précédent post sur la question). Un tel changement ne pouvait, selon elle, que profiter aux tenant d'un islam extrémiste qui s'était développé pendant la dernière décennie sous l'influence à la fois des réactions locales contre le régime alaouite, des manoeuvres de ce même régime (qui protège le Hamas et se montre plus ardent à la construction de mosquées que de logements d'habitation), et d'influences étrangères - la Syrie était un lieu de passage entre le Liban et l'Iraq notamment. Le souvenir des centaines de milliers d'Irakiens (près de deux millions en 2007, selon certaines estimations) qui s'étaient réfugiés en Syrie pour échapper à la guerre civile consécutive au renversement du régime de Saddam Hussein avait de quoi refroidir les ardeurs révolutionnaires de beaucoup de Syriens. Ils avaient moins confiance dans leurs compatriotes, voisins d'immeubles ou cousins que les Tunisiens, qui, bien qu'inquiets, n'imaginaient pas s'égorger les uns les autres.
Homs s'installa dans la révolte. Les semaines se suivaient, et le même motif se répétait : les manifestations du vendredi, après la prière. La répression. Les manifestations à l'occasion des funérailles des "martyrs" des manifestations précédentes. On racontait que l'Iran avait envoyé des agents pour soutenir la police syrienne, et enseigner les méthodes de torture destinées à terroriser les manifestants. En face, les opposants montaient sur les toits la nuit pour taper sur des casseroles et crier "Allah Akbar", à l'instar des manifestants iraniens lors du renversement du shah (ou plus récemment, lors du mouvement vert de 2009). Sofia, elle, me disait que ces manifestations n'étaient "rien du tout", que la majorité des gens soutenaient le régime, et que les médias manipulaient les images. Elle était sincèrement troublée par le fait qu'un jour, Al-Jazira ait parlé d'une manifestation avant qu'elle n'ait lieu. L'affaire de la fausse démission de l'ambassadrice de Syrie en France ne faisait que verser de l'huile sur le feu des doutes : en juin, France 24 avait diffusé un communiqué téléphonique d'une femme se présentant comme l'ambassadrice de Syrie, et annonçant sa démission pour protester contre la violence de la répression, à l'image des défections en cascade des dignitaires du régime de Khaddafi, quelques mois plus tôt ; mais l'ambassadrice en titre était intervenue peu après sur une autre chaîne satellitaire pour démentir ces propos et dénoncer une manipulation.
Je ne comprenais plus rien. Sofia ne parlait que de terroristes, niait l'existence de manifestations pacifiques - la télévision ne montrait que des manifestations pacifiques, et ne parlait jamais de groupes armés.
La situation s'est détériorée, continuellement. Un jour j'entendis à la radio que l'armée avait envoyé ses chars à Homs pour mater la contestation. J'essayai d'appeler, les communications ne passaient pas. Je devins familière de la petite musique qui après le message d'accueil sympathique "ahlan bikoum 'ala chabakat Syriatel" (Bienvenue sur le réseau Syriatel...) annonçait que mon correspondant n'était pas joignable. Les lignes fixes non plus ne marchaient pas. Sofia n'utilisait pas Facebook. Enfin j'entendis sa voix. Elle était très joviale, me racontait qu'elle rentrait juste de promenade, qu'elle était à la campagne parce que la situation à Homs était vraiment très mauvaise, mais qu'elle en profitait pour prendre l'air, cela faisait du bien aux enfants. Elle me raconta que son fils aîné Jojo avait remporté le premier prix d'un concours de théâtre, qu'il était très doué. Elle espérait que les problèmes s'arrêtent enfin, pour reprendre une vie normale parce qu'avec un travail intermittent, les choses commençaient à être difficiles financièrement. Heureusement pour sa famille, avec deux frères à l'étranger, ils avaient un certain revenu assuré.
Je comprenais de plus en plus que les lignes de conflit n'étaient pas seulement confessionnelles, mais aussi sociales. Ceux qui descendaient dans la rue, les "vauriens, clochards etc", Sofia les décrivait comme des chômeurs sans éducation, ou comme le sous-prolétariat urbain des petits métiers déconsidérés et impurs (boucher, barbier, éboueur...). Il n'y avait pas qu'une peur confessionnelle chez elle, mais aussi un mépris de classe. Leurs aspirations ne pouvaient être qu'illégitimes, et leurs actions mercenaires : elle m'assurait savoir de source sûre qu'ils étaient payés pour manifester, 500 livres par jour (près de 7 euros), payés par des puissances qui avaient intérêt au renversement du régime, mais qui ne voulaient en rien la démocratie. Sofia s'énervait au téléphone désormais : c'est ça la liberté qu'ils veulent ? Non mais tu te rends compte, ils ont tué mon voisin, ils l'ont tué, en le traitant de sale chrétien. Dans les manifestations ce qu'on entend c'est "Bashar dans la tombe, les Chrétiens au Liban". C'est ça les démocrates ? Et tu sais qui c'est, leur idole ? Le Cheikh 'Ar'our, un vieux fou qui fait des prêches à la télévision en appelant au viol des filles alaouites ! (réfugié en Arabie Saoudite, 'Adnan 'Ar'our est un télécoraniste populaire, qui est aussi devenu un habitué des plateaux des chaînes d'informations, où il appelle au renversement du régime baasiste et à la vengeance contre ses soutiens, "que nous couperons en morceau et jetterons en pitance aux chiens"... ).
Sofia se calma ensuite, me disant que les informations exagéraient beaucoup les problèmes, et m'invita à venir lui rendre visite : en plus, il y a des promotions sur les billets d'avion en ce moment, l'aubaine ! Je répondis, attends, tu viens de me parler de guerre civile et tu me dis de venir ? Elle m'assura que Damas était très sûre, qu'il y avait même des touristes encore. Puis elle reconnut que j'aurais du mal à venir de Damas à Homs, car les routes étaient quasiment impraticables. Elle me raconta la mésaventure qui était arrivée à son cousin trois jours auparavant : il rentrait de Damas à Homs en bus, un barrage de rebelles les arrêta sur la route, les força à descendre un à un, à cracher sur le portrait du président, et à donner de l'argent pour la "révolution". Sofia conclut la conversation en disant "Pourvu que l'armée nous débarrasse de ces gens là".
Une autre fois, je lui demandai si elle n'avait pas peur qu'il se passe à Homs la même chose qu'à Hama, en 1982, lorsque l'armée avait rasé la ville rebelle pour venir à bout des Frères musulman, tuant au passage tous les civils qui n'avaient pas quitté les lieux. Sofia n'avait jamais trop parlé de cet épisode, sinon pour dire que la période avait été compliquée : son père avait été impliqué dans la répression, elle le justifiait en soulignant la violence des attentats qui avaient été perpétrés par les islamistes au début des années 1980. Là encore, la menace semblait justifier les pires procédés. "Ah, si seulement ils pouvaient faire à Homs ce qu'ils ont fait à Hama !" Je lui fis remarquer qu'elle était revenue à Homs, que ce pouvait être dangereux pour elle ? "Non, l'armée nous protège, au contraire: depuis qu'ils ont investi mon quartier, les enfants peuvent jouer dehors. Ils viennent fouiller les maisons, mais c'est normal, c'est pour voir si les gens ne cachent pas des armes... l'autre jour, ils ont trouvé des terroristes cachés chez une de mes voisines ! Et puis ce sont les soldats qui escortent les enfants à l'école le matin". L'école reprenait, de façon intermittente. Ouverte quelques semaines, puis fermée. Le travail de Sofia et de son mari aussi était intermittent. Quand ils le pouvaient, ils allaient à la campagne, mais ils ne pouvaient pas partir trop longtemps, ils avaient peur pour leur maison, et se loger ailleurs coûtait cher. Son père et sa mère étaient allés à Marmarita, un village chrétien proche du Krak des Chevaliers ; son père avait reçu des menaces à Homs, et sa mère était fatiguée des contraintes du quotidien dans une ville où l'électricité était fréquemment coupée.
Avec l'hiver la situation se dégrada encore. Les manifestations que l'on voyait à la télé n'étaient qu'un épiphénomène dans la bouche de Sofia. Ce qu'elle vivait, c'était le changement de climat dans le quartier, où désormais l'épicier refusait de servir les femmes non voilées ; les menaces proférées contre les chrétiens et les alaouites ; les tirs ; les enlèvements. Des gens disparaissaient: des personnalités, mais aussi des enfants, des citoyens lambdas. Des enlèvements politiques et des enlèvements crapuleux, pour l'argent. Elle me parlait avec un calme résigné, citant précisément les cas d'enlèvements dans le quartier. L'un avait eu lieu devant l'école, la semaine précédente. Je ne comprenais pas pourquoi tout cela avait lieu à Homs, ville multiconfessionnelle, faite de quartiers ségrégés et de quartiers mélangés, de longues cohabitations. Ville de passage, troisième ville du pays mais toujours un peu négligée dans la représentation nationale où dominent Damas et Alep. Proche du Liban, c'est peut être une explication aussi : la frontière est bien poreuse, elle est le lieu de tous les trafics.
Les rebelles étaient de plus en plus armés, d'armes lourdes. De véritables bombardements avaient lieu à Homs en janvier, lorsque le journaliste Gilles Jacquier a été tué. Sofia ne sortait que le matin : on pouvait faire ses courses entre 8h et midi, Sofia travaillait en demi journée du coup, et restait l'après-midi chez elle. En février, elle était injoignable. "Ahlan bikoum 'ala chabakat Syriatel...." Inquiète, je finis par obtenir des nouvelles de son frère sur Facebook. Il était à Damas, la communication passait.
Walid était le petit benjamin de la famille. Futé comme un renard, il aurait fait un très bon journaliste. Un stage dans un journal local l'avait échaudé: il avait débusqué un scoop sur une affaire de corruption locale, on lui a vite fait comprendre qu'il lui faudrait plutôt s'intéresser aux oeuvres charitables de la charmante Première Dame.
Sur sa page Facebook, Walid affiche ouvertement son soutien au régime. Au téléphone, il m'explique que la situation est plus compliquée, chacun ment, chacun commet des exactions. Homs est devenue invivable, on tire de tous les côtés. Obus et snipers. Séparés par trois rues, la maison de Sofia et l'appartement de ses parents se trouvent dans des quartiers contrôlés par des camps opposés : les rebelles à Bab Sabah, où habitent les parents ; l'armée à 'Adawiyé, où habite Sofia. Il est devenu presque impossible d'aller de l'un à l'autre. Les parents ne veulent pas quitter leur maison ; un membre du groupe des rebelles a reconnu dans la mère de Sofia son institutrice d'école primaire, et a dit qu'il ne ferait pas exploser son immeuble. Walid ne leur fait pas confiance, d'ailleurs, ajoute-t-il, ils arment même les enfants : on voit des gamins de 15 ans avec des fusils automatiques, c'est totalement dément !
Walid a réussi à se faufiler hors de la ville en négociant à la fois avec l'armée et avec les rebelles. A Damas, tout va bien : lorsque je l'appelai, il s'apprêtait à sortir en boîte avec ses amis. Damas n'est pas vraiment entrée dans la contestation, dit-il, la manifestation de dimanche dernier (qui a fait la une de certains journaux) c'était, selon Walid, du pipeau, "ça a duré à peine une heure". Il m'explique ensuite que la situation est d'autant plus instable que les rebelles ne sont pas d'accord entre eux. Le Conseil National Syrien, qui mène les négociations sur le plan international pour obtenir des soutiens étrangers contre le régime d'Assad, est une association hétérogène de laïcs exilés de longue date (comme Burhan Ghalioun, qui préside le Conseil, et Basma Kodmani (dont la soeur a la quasi exclusivité de la couverture du conflit syrien pour Libé, ce qui permet de contextualiser les angles choisis dans ce journal - tous deux universitaires engagés pour les droits humains et la réforme dans les pays arabes), et de Frères musulmans modérés, qui se sont coupés de leur base à la suite du bannissement dont il ont fait l'objet depuis les années 1980. S'il occupe la scène médiatique internationale, le CNS n'a que peu d'écho sur le terrain. Parmi les combattants armés, les forces politiques les plus influentes sont celles des salafistes, des fondamentalistes au discours bien plus extrême que celui des Frères Musulmans. C'est pour cela, dit Walid, qu'il continue à soutenir le régime en définitive : au moins on le connaît.
Il enchaîne à toute vitesse sur ses projets. Il travaille chez Nokia maintenant, et aimerait que sa boîte l'envoie à Khartoum ou à Dubaï. Si ça ne marche pas, il essaiera de poursuivre ses études en Angleterre, avec l'aide de son frère. Alors, il passera me voir à Paris promet-il. L'avenir est ailleurs.

avertissement. Ce texte vise à porter un regard plus complexe sur ce qui se passe en Syrie, au moyen d'un compte-rendu de conversations partiales. il n'est bien évidemment pas question de justifier les crimes commis par le régime syrien au nom de la "lutte contre le terrorisme"; cet objectif politique ne saurait donner à une armée licence de pilonner la population civile, et il est évident que le rapport de forces est inégal. Sur ce point, plutôt que d'armer les rebelles, il aurait été préférable que nous n'armions pas leurs persécuteurs ( cf rapport d'Amnesty)