Une remarque en préambule: la proposition de résolution est présentée par 58 députés, dont, selon un décompte approximatif basé uniquement sur les prénoms et patronymes, 11 femmes et 0 personne "issue de l'immigration maghrébine". Préambule intéressant, puisqu'il s'agit de libérer la femme musulmane.
Intéressons nous à présent aux motivations de la proposition. Les auteurs commencent par se référer au moment, fondateur s'il en est, de la Révolution française, moment de l'émancipation contre le joug de l'absolutisme et de la religion, qui a proclamé la liberté de religion dans le texte tout en brûlant du curé dans la rue. Moment fondateur également de la tolérance à la française, puisque, s'agissant de religion, elle n'admet que son existence discrète dans l'intimité du foyer, ou dans le folklorisme des jours fériés. C'est là le principe de la laïcité à la française, dont le cadre législatif est mis en place, on le sait, avec la loi de 1905; alors que cette loi vise à organiser un divorce en bonne et due forme entre l'Eglise et l'Etat(partage des biens et de l'autorité parentale), nos vaillants députés poussent l'exégèse jusqu'à en déduire "la dissociation de la citoyenneté et de l'appartenance religieuse". Pour un Français socialisé à l'école républicaine cette affirmation semblera couler de source; elle est pourtant assez absurde dans son fondement. Ou bien idéaliste. Qui dirait que c'est Henri Grouès et non l'abbé Pierre qui s'est battu sa vie durant pour le droit au logement?
Bien sûr il n'est pas question du christianisme ici. Il est question de l'Islam, la religion de tous les oppresseurs, c'est bien connu. Plus grave, c'est une religion envahissante, impérialiste, que nos vaillants défenseurs de la liberté accusent "d'imposer ses principes comme normes d’organisation de la société".
L'islam serait éminemment dangereux par sa dimension communautariste; il fait peser sur le bel unanimisme républicain la menace d'une désagrégation, d'une fragmentation en une "mosaïque de communautés repliées sur elles-mêmes et s’excluant mutuellement". Intéressant, cette crainte d'une désagrégation sociale par l'effet délétère de la religion quand on voit les institutions du culte musulman se débattre comme grenouilles dans la semoule pour définir un semblant de ligne commune (d'ici à parler d'organisation communautaire, on n'est pas prêt de manger le couscous). Quand d'autre part on songe à la montée des inégalités sociales, avec les effets de la crise, on est tenté de penser que ce projet n'est qu'un soubresaut du pouvoir pour relancer une légitimité bien ébranlée... La magnificence même de l'énoncé laisse songeur: "Quand la laïcité est menacée, la société française l’est dans son unité, dans sa capacité à offrir un destin commun". Une telle éloquence donne à tout Français qui se respecte l'envie irrésistible de se lever pour chanter la Marseillaise, et qu'un sang impur abreuve nos sillons.
Pourtant il ne s'agit pas de l'envahisseur nazi... et si on doit compter sur le sang des islamistes de France pour abreuver nos sillons, les blés risquent d'avoir bien soif cet été.
Plus sérieusement: la propension des Français à renoncer aux libertés publiques au nom de l'adhésion à des valeurs communes laisse songeur. Un anthropologue américain a d'ailleurs écrit tout un livre à ce sujet, intitulé Why the French Don't like Headscarves. Il y développe une analyse profonde de l'imprégnation rousseauiste de la politique française, de la méfiance à l'égard de la religion, et de la mobilisation ambiguë du féminisme au secours des banlieues. Il souligne à quel point la France est rétive à la notion même de multiculturalisme, perçue comme une menace de désintégration et de sédition:
"Tout groupe qui réclame des droits spécifiques se heurte à l'héritage jacobin de la culture politique française. Lorsque des groupes religieux tentent d'agir publiquement, ils sont doublement suspects. Tout d'abord, ils entrent en concurrence avec l'Etat pour la loyauté des individus, et ainsi promeut le communautarisme. Mais ils sont soupçonnés d'aller encore plus loin, et de promouvoir pour leurs membres des contraintes dont les sanctions sont divines, et donc d'une autorité plus grande que celle de l'Etat"(ma traduction de la p.162. Pour le texte original, se reporter à l'ouvrage paru en 2008)
Venons en aux faits.
"Nous sommes aujourd’hui confrontés, dans les quartiers de nos villes (lire: dans nos banlieues-ghettos) au port par certaines femmes musulmanes de la burqa, voilant et enfermant intégralement le corps et la tête dans de véritables prisons ambulantes ou du niqab qui ne laisse apparaître que les yeux.
Si le foulard islamique constituait un signe distinctif d’appartenance à une religion, nous sommes là au stade extrême de cette pratique.
Il ne s’agit plus seulement d’une manifestation religieuse ostentatoire mais d’une atteinte à la dignité de la femme et à l’affirmation de la féminité.
Vêtue de la burqa ou du niqab, elle est en situation de réclusion, d’exclusion et d’humiliation insupportable. Son existence même est niée."
Le foulard c'était déjà super dangereux, on a bien fait de l'interdire à l'école, d'ailleurs les filles réussissent bien mieux le bac depuis qu'on les a ainsi forcées à exercer leur esprit critique à l'égard de la religion. Mais la burqa, c'est extrêmement dangereux, il serait donc légitime de l'interdire dans TOUS les espaces publics, dans le métro, dans la rue.
Femmes, soyez féminines, soyez belles, soyez glamour et sexy, c'est là qu'est la nouvelle liberté. (quant à savoir si l'affirmation de la féminité est un principe constitutionnel à défendre, je dédierai le dernier mot aux lesbiennes qui aimeraient bien qu'on les laisse ne pas être féminines...)
10 commentaires:
Je suis d'humeur pinailleuse alors je voudrais préciser que le nom d'Abbé Pierre n'a rien à voir avec sa place effective dans la hierarchie catholique (il est toujours resté simple prêtre) : c'était son nom de code dans la Résistance.
Merci pour cette précision fort utile.
Bonjour yasmine,
Oui pour moi la laicité coule de source et je suis profondément navré que ce ne soit pas le cas pour vous... quel incroyable concentré de mauvaise foi !
ceci étant j'aime beaucoup ce que vous faites.
bonne continuation.
Un français sociabilisé à l'école républicaine.
Je ne crois pas faire preuve de mauvaise foi... Je ne suis pas une farouche partisane de la burqa, moi aussi ça me cause un mouvement de recul, de voir des fantômes en burqa dans la rue, mais je trouve qu'il n'y a pas lieu de légiférer là dessus, de même qu'on ne légifère pas sur les gothiques, les punks, les grunges qui puent et autres accoutrements "asociaux". C'est d'autant plus hypocrite de légiférer sur la burqa pour défendre les droits des femmes quand on supprime les subventions aux foyers qui accueillent les femmes battues, supprimant ainsi les possibilités pour ces femmes de se soustraire à un compagnon violent. Qu'elles soient voilées ou non, soit dit en passant.
Cette récupération du féminisme par la partie la plus machiste et la plus raciste de notre société est à vomir.
Moi j'étais dans les manifestations des années 1970 et dans les conflits assumés, en famille comme au travail pour faire avancer notre statut à nous les femmes.
Les très minables hommes qui veulent récupérer ces principes les détournent comme de minables ayatollah qu'ils sont.
LE FEMINISME VRAI C'EST DE LAISSER LES FEMMES ORIENTER LEUR VIE COMME ELLES LE SOUHAITENT ET S'HABILLER COMME ELLES LE SOUHAITENT.
Si ces menteurs voulaient réellement le bien des femmes, ils s'interrogeraient non sur la burqa qui concerne peut être quelques centaines de femmes en France, mais sur:
- les moyens de rendre accessible la formation aux femmes aux différents ages de leur vie. Et les moyens de leur rendre accessible l'accès à l'emploi.
- les moyens d'aider les femmes seules avec enfants qui constituent une grande part des couches les plus pauvres de notre société.
- les moyens de favoriser les associations et les services sociaux qui peuvent soutenir des femmes qui souhaitent s'autonomiser de leur famille mais ont des difficultés pour le faire. Parfois ce sont des femmes qui subissent une violence familiale psychologique ou physiques (ces femmes se rencontrent dans toutes les cultures et milieu et couleur de peau). Les places en foyer sont notoirement insuffisantes.
Monsieur Sarkozy réveille les mauvais instincts racistes pour faire oublier le chômage et la grande pauvreté qui monte.
Monsieur Sarkozy est un ayatollah machiste comme les autres qui veut imposer aux femmes leur manière de vivre. Sa religion à lui c'est le bling bling mais cela ne change rien sur le fond.
J'APPELLE LES FEMMES A DIRE NON A LA COMMISSION MACHISTE. COMME DANS LES ANNEES 1970, FACE AUX VIEUX MACHOS CATHO OU AUTRES QUI VOULAIENT QU'ON FASSE DES ENFANTS ET QU'ON NE DECIDE PAS NOTRE VIE.
Laissons les femmes à burqa évoluer à leur rythme, aidons les par des structures appropriées pour être sûr qu'elles puissent choir burqa or not burqa.. (et d'autres choses un plus importantes qu'un simple vêtement).
Il n'y a pas que chez les musulmans que les familles peuvent être intrusives sur le choix d'un vêtement, d'un mode de vie, d'un métier, d'un conjoint...
Il est utile de rappeler les principes républicains :
8 BRUMAIRE an 2 (29 octobre 1793)
Décret relatif aux vêtemens des personnes des deux sexes (L. 16, 346 ; B. 36, 83.)
Art. 1er. Nulle personne de l'un et de l'autre sexe ne pourra contraindre aucun citoyen ni citoyenne à se vêtir d'une manière particulière sous peine d être considérée et traitée comme suspecte et poursuivie comme perturbateur du repos public. Chacun est libre de porter tel vêtement et ajustement de son sexe que bon lui semble.
Art. 2. La Convention nationale n'entend point déroger aux précédens décrets rendus sur le fait de la cocarde nationale, sur le costume des prêtres et sur les travestissemens ainsi qu'à tous autres décrets relatifs au même objet.
Art. 3. Le présent décret sera inséré dans le Bulletin du 9 brumaire.
Source : Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlemens avis du Conseil d'état
Bonjour,
Le port de la Burqa n'a pas grand chose à voir avec l'Islam. C'est juste un habit porté par les femmes Pachtounes (Afghanistan). Idem pour le Niqab originaire de l'Arabie Saoudite. Donc très minoritaire.
Après il y a aussi le fait qu'une personne portant la bourqa peut comprendre que ce port envoi des messages: même si pour elle c'est un choix, la Bourqa fait référence à des pays (comme l'Afghanistan) où la femme est un sous-humain.
C'est ça qui choque les Français, et tout le monde peut le comprendre.
Ce n'est donc pas l'Islam qui est attaqué (surtout pas), ni le droit du choix de la personne qui le porte, mais bien les références sous-jacentes.
Je suis sûr que s'il n'y avait pas tous ces problèmes d'oppression sur la gente féminine dans ces pays le port de la burqa en France ne poserait aucun problème...
Petite anecdote amusante: un homme qui porte une cagoule dans le métro se fait arrêter tout de suite. ;)
Petite anecdote 2: Nous sommes lié à l'actualité: Qui se serait amusé à porter une Svastika Bouddhiste (symbole d'éternité et de fertilité) après la seconde guerre mondiale? =)
On ne peut pas nier le droit d'afficher un symbole religieux, et pourtant, le porteur ne peut pas ignorer le message qu'il envoi (nazisme).
Autre anecdote amusante: en Belgique, tout port d'un masque est interdit en dehors du carnaval. =)))
Après j'ai écouté les arguments des députés et je les trouve les références historiques un peu pipot...
Bonne journée à tous!
Juste par curiosité: ce blog a habituellement une diffusion assez limitée à mon cercle de proches (il est public bien sûr, mais peu connu), or je reçois depuis peu plein de commentaires sur la burqa, comment avez-vous trouvé mon blog?
@Marianne. Je suis totalement en accord avec vous, il s'agit d'une reprise à bon compte d'une féminisme par un macho complexé qui cherche à paraître décomplexé. Il serait bien plus important par exemple de s'occuper des violences économiques faîtes au femmes. Voire http://blog.emceebeulogue.fr/post/2009/06/01/Et-si-tu-es-une-femme-noire-pauvre-et-malade-ce-sera-tres-tres-dur , ça se situe aux USA mais en France on doit en être proche.
@Yokho en effet ces habits sont des coutumes de pays voire de tribus importées en France dont le port n'est pas une obligation de l'islam mais qui a été professé comme tel par des religieux de ces pays ou tribus.
@Yasmine c'est grâce à Rezo.net pour ma part que j'ai découvert votre très intéressant blog.
j'ai aussi entendu à la télé une femme politique expliquer que la loi devait interdire le port de la burqua, de la même façon qu'elle interdisait aujourd'hui à une femme de se promener en monkini sur la voie publique ...
c'es vous dire le niveau du débat !
(lien vers ce blog trouvé sur rezo.net - merci rezo.net)
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