Il m'aura fallu du temps pour prendre position sur le mouvement qui agite (ou immobilise, c'est selon) les universités en France. J'étais de prime abord un peu sceptique face à une contestation qui, me semblait-il, visait surtout des responsables politiques (en premier lieu un chef de l'Etat peu soucieux de plaire au monde académique), et amalgamait des revendications corporatistes à des contestations plus générales contre le néolibéralisme.
J'étais d'autant moins encline à promouvoir le statu quo qu'après mon séjour de deux ans aux Etats-Unis je trouvais le système français sclérosé et peu défendable. Malheureusement les réformes actuelles, qui prétendent s'inspirer du modèle américain en parlant notamment d'évaluation, n'en retiennent pourtant aucune de ses forces, qui sont en premier lieu des financements conséquents, et une grande liberté dans la recherche. Bien au contraire, la réforme de Valérie Pécresse, qui a l'air si sage et aimable quand on l'entend présenter son projet, est un plâtrage hâtif qui ne cachera pas bien longtemps la misère et la précarité installées par les suppressions de postes.
Je remercie Liora Israël de m'avoir permis de mieux saisir les enjeux des réformes actuelles, en comprenant des logiques institutionnelles qui m'étaient jusque là assez sibyllines. En m'inspirant largement du cours "alternatif" qu'elle a présenté à l'EHESS dans le cadre du mouvement de contestation "Changeons de Programme", voici donc un historique des changements intervenus ces dernières années, et les perspectives futures pour l'université française.
Tout d'abord, rappelons-le, et cela rassurera ceux qui se sont toujours dit "je n'y comprends rien": le système français de la recherche et de l'enseignement supérieur est très complexe. Il est composé de 3 ensembles:
* l'université.
* les grandes écoles (ENS, Polytechnique..) et les "grands établissements" (EHESS, Langues O, Collège de France...)
* les organismes de recherche (CNRS, INSERM, INED etc)
Ce système était critiqué pour sa complexité, les très fortes disparités de dotation, et l'éparpillement qui gênait la visibilité des établissements au niveau international. Pour y remédier, des réformes ont été entreprises au niveau du financement de la recherche d'une part, et au niveau de la gestion des universités d'autre part.
Pour le premier volet, le CNRS est en cours de démantèlement; alors qu'il était le plus gros financeur (et employeur) des chercheurs en France, c'est désormais l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), créée en 2006, qui a pour fonction d'allouer des financements aux projets de recherche. L'ANR dispose pour cela d'un budget considérable, mais n'attribue de financement qu'à des projets thématiques, et sur des périodes de 3 ans. Concrètement, par rapport au CNRS, cela permet d'embaucher des chercheurs en CDD sur des projets précis, au lieu d'avoir des chercheurs titulaires relativement libres dans leurs activités. En complément de l'agence de financement, une agence d'évaluation a été créée en 2007, l'AERES, pour noter le travail des équipes de recherche. Les critères de notation (en particulier, pour les sciences sociales, l'importance accordée aux différentes revues où les chercheurs publient) soulèvent parfois des inquiétudes.
Le second volet, celui qu'on appelle "autonomie des université", a été mis en place avec la loi LRU ("liberté et responsabilité des universités"), votée en août 2007. Si le projet était soutenu par les présidents d'université (qui voyaient leur pouvoir s'accroître considérablement) un simple coup d'oeil au calendrier témoigne de son impopularité auprès des étudiants aussi bien que des enseignants-chercheurs. Cette réforme permet une autonomie budgétaire de l'université, et autorise le président de l'université à procéder à des recrutements sur des contrats de CDD et CDI, au moyen de commissions ad hoc. Le conseil d'administration est restreint, avec une moindre représentation des enseignants-chercheurs et des étudiants. Cette réforme s'accompagne d'un plan de regroupement des universités, visant à leur donner davantage de visibilité et d'attractivité.
La contestation actuelle est née à l'occasion d'une autre mesure : il s'agit de la modification du statut des enseignants-chercheurs de 1984, non pas par loi mais par décret de la ministre Valérie Pécresse. Ce décret accroît le pouvoir du président de l’université sur la gestion des carrières et la modulation de service des enseignants chercheurs, dont le volume de travail pourra être davantage modulé entre enseignement et recherche. Plus de souplesse en apparence, mais du texte on ne sait pas si c'est de la souplesse "qualitative" (donnant plus de temps à la recherche, ou à l'enseignement), ou de la souplesse "quantitative": permettant de moduler les dépenses de l'université, en augmentant le volume d'enseignement des enseignants-chercheurs pour éviter d'avoir à leur payer des heures complémentaires...
C'est là que le bât blesse: la ministre promet des conditions plus avantageuses pour les enseignants-chercheurs, qui pourraient dégager du temps pour la recherche à des moments clés de leur parcours, et c'est bien ce qu'ils demandent depuis longtemps. La contestation actuelle vient du fait que, en attribuant tout pouvoir de modulation au seul président de l'université (au lieu du Conseil National des Université, organe national comme son nom l'indique), cette mesure renforce des localismes qui sclérosent déjà trop l'université. Et d'autre part, pour qui fréquente un peu l'université, cette annonce ne paraît pas très sérieuse dans la mesure où précisément les postes d'enseignants-chercheurs tendent à disparaître au profit de postes plus précaires, avec des tâches d'enseignement très lourdes et des rémunérations peu gratifiantes.
Pour davantage d'information sur le sujet, allez voir le documentaire de Thomas Lacoste:
ici, premier épisode:
Les autres épisodes sont en libre accès sur le site internet. Pour soutenir cette initiative vous pouvez acheter le DVD 12€ (frais de port inclus)par paiement en ligne, ou par chèque à l’ordre de L’Autre association, 3, rue des Petites Ecuries, F-75010 Paris. (je n'ai pas de commission, c'est simplement la mention que l'auteur, déjà bien généreux, demande qu'on ajoute à toute citation de son travail, afin qu'il puisse en vivre un peu...)
mardi 3 février 2009
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