dimanche 15 février 2009

Les universitaires, un nouvel ordre mendiant?

Ou comment on fait voeu de pauvreté pour le salut du Savoir...
Parce que je n'ai pas de légitimité pour développer ce point (je ne suis encore qu'étudiante), je laisse la parole à Pierre Jourde
(Écrivain et Professeur des Universités, Grenoble III)

Nicolas Sarkozy, dans son discours du 22 janvier, parle de recherche
«médiocre» en France. Elle est tellement médiocre que les publications
scientifiques françaises sont classées au 5e rang mondial, alors que
la France se situe au 18e rang pour le financement de la recherche.
Dans ces conditions, les chercheurs français sont des héros. Les voilà
évalués, merci. Accessoirement, condamnons le président de la
république à vingt ans de travaux forcés dans des campus pisseux, des
locaux répugnants et sous-équipés, des facs, comme la Sorbonne, sans
bureaux pour les professeurs, même pas équipées de toilettes dignes de
ce nom.
(...)

Pour mieux comprendre à quel point un universitaire n'est pas évalué,
prenons le cas exemplaire (quoique fictif) de Mme B. Elle représente
le parcours courant d'un professeur des universités aujourd'hui.
L'auteur de cet article sait de quoi il parle. Elle est née en 1960.
Elle habite Montpellier. Après plusieurs années d'études, mettons
d'histoire, elle passe l'agrégation. Travail énorme, pour un très
faible pourcentage d'admis. Elle s'y reprend à deux fois, elle est
enfin reçue, elle a 25 ans. Elle est nommée dans un collège «sensible»
du Havre. Comme elle est mariée à J, informaticien à Montpellier, elle
fait le chemin toutes les semaines. Elle prépare sa thèse. Gros
travail, elle s'y consacre la nuit et les week-ends. J. trouve enfin
un poste au Havre, ils déménagent.

A 32 ans, elle soutient sa thèse. Il lui faut la mention maximale pour
espérer entrer à l'université. Elle l'obtient. Elle doit ensuite se
faire qualifier par le Conseil National des Universités. Une fois
cette évaluation effectuée, elle présente son dossier dans les
universités où un poste est disponible dans sa spécialité. Soit il n'y
en a pas (les facs ne recrutent presque plus), soit il y a quarante
candidats par poste. Quatre années de suite, rien. Elle doit se faire
requalifier. Enfin, à 37 ans, sur son dossier et ses publications,
elle est élue maître de conférences à l'université de Clermont-
Ferrand, contre 34 candidats. C'est une évaluation, et terrible, 33
restent sur le carreau, avec leur agrégation et leur thèse sur les
bras. Elle est heureuse, même si elle gagne un peu moins qu'avant.
Environ 2000 Euros. Elle reprend le train toutes les semaines, ce qui
est peu pratique pour l'éducation de ses enfants, et engloutit une
partie de son salaire. Son mari trouve enfin un poste à Clermont, ils
peuvent s'y installer et acheter un appartement. Mme B développe ses
recherches sur l'histoire de la paysannerie française au XIXe siècle.
Elle publie, donne des conférences, tout en assumant diverses
responsabilités administratives qui l'occupent beaucoup.

Enfin, elle se décide, pour devenir professeur, à soutenir une
habilitation à diriger des recherches, c'est-à-dire une deuxième
thèse, plus une présentation générale de ses travaux de recherche.
Elle y consacre ses loisirs, pendant des années. Heureusement, elle
obtient six mois de congé pour recherches (sur évaluation, là encore).
A 44 ans (génétiquement has been, donc) elle soutient son
habilitation. Elle est à nouveau évaluée, et qualifiée, par le CNU.
Elle se remet à chercher des postes, de professeur cette fois. N'en
trouve pas. Est finalement élue (évaluation sur dossier), à 47 ans, à
l'université de Créteil. A ce stade de sa carrière, elle gagne 3500
euros par mois.

Accaparée par les cours d'agrégation, l'élaboration des plans
quadriennaux et la direction de thèses, et, il faut le dire, un peu
épuisée, elle publie moins d'articles. Elle écrit, tout doucement, un
gros ouvrage qu'il lui faudra des années pour achever. Mais ça n'est
pas de la recherche visible. Pour obtenir une promotion, elle devra se
soumettre à une nouvelle évaluation, qui risque d'être négative,
surtout si le président de son université, à qui la réforme donne tous
pouvoirs sur elle, veut favoriser d'autres chercheurs, pour des
raisons de politique interne. Sa carrière va stagner.

Dans la réforme Pécresse, elle n'est plus une bonne chercheuse, il
faut encore augmenter sa dose de cours, alors que son mari et ses
enfants la voient à peine. (Par comparaison, un professeur italien
donne deux fois moins d'heures de cours). Ou alors, il faudrait
qu'elle publie à tour de bras des articles vides. Dans les repas de
famille, son beau-frère, cadre commercial, qui gagne deux fois plus
qu'elle avec dix fois moins d'études, se moque de ses sept heures
d'enseignement hebdomadaires. Les profs, quels fainéants.

Voir aussi ce beau texte sur la réhabilitation (involontaire) de la Princesse de Clèves par notre président bling-bling.

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