lundi 6 juin 2011

J.R., "panhandler" à San Francisco


Union Square, San Francisco. A chaque coin de rue se tient un mendiant, homme, noir, l'air un peu fou, parfois debout et parfois en fauteuil roulant. Chacun a son histoire, vétéran du Viêt Nam, rescapé de la prison, naufragé du crack. Parfois ils traînent cette histoire dans de lourds caddies, fatras en lambeaux qui leur sert à la fois de bouée et de boulet.On les appelle en anglais "panhandlers". Littéralement "ceux qui tendent la poële", même si souvent c'est un gobelet de coca cola récupéré chez McDo qui en fait office.
Devant le luxueux hôtel Westin Saint Francis se tient Jonathan, ou J.R. Un vrai panhandler, qui demande la pièce avec une poële. Littéralement. Un sourire merveilleux, il bénit les passants, qui parfois jettent quelques pièces de cuivre dont de toutes façons ils ne sauraient que faire. J.R. est optimiste, il est sur la bonne voie maintenant. Il est midi, il a à peu près deux dollars, il aimerait bien en avoir 10 pour pouvoir faire deux repas, voire 20 pour améliorer l'ordinaire, mais on verra bien. Il est content de toutes façons parce que les choses vont s'améliorer pour lui. Il a pris un nouveau départ à San Francisco, il est logé dans une chambre, un avocat s'occupe de lui faire un dossier pour ouvrir ses droits à Medicare, afin qu'il puisse soigner son coeur et ses dents.
Jonathan est né à Chicago il y a presque soixante ans de cela. Il a commencé à travailler à sept ans, comme vendeur de journaux. A seize ans, il est devenu garçon de café. Puis il a tracé son chemin, il a même réussi à faire des études, et a obtenu un travail "très bien payé" comme commercial dans un magasin. Il s'est marié, c'était la belle vie. "Avec ma femme on habitait une maison immense, il y avait neuf chambres, trois cuisines et trois salles-de-bains, une à chaque étage - pour combien de personnes ? - juste pour nous deux ! Ah c'était le bon temps alors, je gagnais 35 000 dollars par an ! Puis ma femme m'a quitté... c'est son père qui était raciste, il me détestait...Elle était blanche alors.. il l'a convaincue de me quitter. Elle a demandé le divorce quand notre bébé avait dix mois... j'étais tellement dévasté que je n'ai rien fait, je lui ai dit 'prends la maison' et je suis parti. Je suis tombé en dépression... Cela fait trente ans que je n'ai pas vu mon fils, il paraît qu'il s'est marié maintenant... J'aimerais bien le revoir. J'ai pris un nouveau départ. Depuis deux ans j'ai quitté Chicago, je ne pouvais plus vivre chez ma mère, elle a obtenu un logement pour personnes âgées, alors je ne pouvais pas rester avec elle, j'ai décidé de venir tenter ma chance à San Francisco, et me voici ! ça va aller maintenant.
J.R. me regarde avec son grand sourire, qui rayonne du rêve américain malgré toutes les blessures dont il est marqué. Il me dit "Allez miss, tu pourrais rajouter un dollar ou deux dans ma poële, tu vois, la vie c'est pas facile ! merci, Dieu te garde".