dimanche 20 juin 2010

billet de politique fiscale (les retraites)

Mes lecteurs jadis fidèles regretteront que je ne fasse plus que relayer très ponctuellement certains textes qui retiennent mon attention. Le précédent était humoristique, celui qui vient ici est plus sérieux et technique. Mais je trouve qu'il mérite d'être lu. Le scandale sur le cumul des retraites dorées de nos ministres convaincra peut-être les sceptiques de réfléchir à ces propositions.
(extrait du rapport de la fondation Terra Nova sur les retraites ; les caractères gras sont de moi )

Quel est le niveau de vie que la collectivité veut garantir aux retraités ? Historiquement, le système français les a sortis de la pauvreté, puis leur a fourni un revenu de remplacement pour aujourd’hui, implicitement, viser la parité de niveau de vie. Le rapport propose de fixer explicitement cet objectif de parité et de le garantir pour aujourd’hui et pour demain. C’est un objectif de haut niveau, légitime : la retraite est désormais un temps de la vie à part entière, la parité garantit aux retraités qu’ils pourront profiter de ce temps dans les mêmes conditions que lorsqu’ils étaient actifs.


Sur la base de cet objectif de parité, on peut décliner les grandes décisions paramétriques à prendre.


A court terme, tout d’abord, nous nous situons dans une situation historique exceptionnelle : le niveau de vie moyen des retraités d’aujourd’hui est légèrement supérieur à celui des actifs (106%). Le système français, en quelque sorte, « surperforme ». La logique est donc de faire contribuer les retraités aisés d’aujourd’hui, au même titre que les actifs, au bouclage financier du système. C’est une idée iconoclaste car nos représentations collectives sont ancrées dans le monde d’hier, où les pauvres dans notre société, c’était les retraités. Ce n’est plus le cas : les pauvres aujourd’hui, ce sont les jeunes actifs, avec un taux de pauvreté à 12% contre moins de 4% pour les retraités. La logique est également de ne pas mettre à contribution les salaires : le niveau des cotisations en France est déjà élevé (un taux apparent de 28.8% contre par exemple 16% en Suède) ; et une hausse des cotisations aboutirait à une baisse relative supplémentaire du niveau de vie des salariés. Les recettes complémentaires devront être trouvées ailleurs que sur les salaires, notamment dans la taxation du patrimoine : elle met à contribution toutes les générations (et pas les seuls actifs[4]) et en appelle à la solidarité des Français les plus aisés.


A long terme, en revanche, les pensions relatives vont régresser. Si rien n’est fait, le niveau de vie relatif des retraités va descendre à 78% en 2050. Ce serait la « double peine » pour les actifs d’aujourd’hui : des efforts importants pour maintenir les retraites d’aujourd’hui à un niveau élevé, et leur propre retraite amputée demain. L’objectif de parité commande que les efforts supplémentaires de réforme ne pèsent pas sur le paramètre « niveau de pension » : ce sera aux actifs de demain de les porter. Il nécessite aussi des mesures de soutien pour les retraites à venir des classes moyennes et populaires.
3. Concrètement, pour répondre au besoin de financement à court terme, le rapport propose :

- L’alignement de la fiscalité des retraités aisés sur les actifs. Les retraités bénéficient d’une fiscalité dérogatoire : ils acquittent un taux réduit de CSG (6.6%, voire 3.8% ou même 0, contre 7.5% pour les actifs), bénéficient d’un abattement pour frais professionnels à l’impôt sur le revenu, ainsi que de diverses exonérations fiscales. Ces dérogations étaient légitimes dans le monde d’hier, où les retraités étaient pauvres. Elles ne le sont plus aujourd’hui, puisque les retraités sont en moyenne aussi « riches », voire même un peu plus, que les actifs. Est-il normal qu’Antoine Zacharias, titulaire d’une retraite-chapeau de 2.5 millions d’euros par an, acquitte une CSG au taux de 6.6%, inférieure à un travailleur au smic qui doit supporter un taux de 7.5% ? Est-il normal qu’un foyer de retraités à 4.000 euros par mois ait droit à un abattement professionnel à l’impôt sur le revenu alors que le travailleur au smic, qui lui expose des frais professionnels pour aller travailler, n’en bénéficiera pas[5]? Bien évidemment, il reste des retraités pauvres et il n’est pas question de toucher au pouvoir d’achat des petites retraites. Un alignement fiscal des seuls retraités aisés sur les actifs rapporterait plus de 5 Md€ par an.


- La taxation des niches sociales. Ces niches poursuivent des objectifs sociaux et économiques mais elles ont un coût prohibitif : elles font perdre 60 Md€ par an de recettes à la sécurité sociale. Le rapport propose de taxer les niches les moins légitimes, notamment celles qui fournissent des compléments de revenus à aux hauts salariés (stock options, actions gratuites, intéressement, participation, indemnités de départ), à certains métiers (mannequins, commis de bourse…) ou encore les heures supplémentaires. Ces mesures permettraient de dégager 6.6 Md€ par an.


- La taxation des revenus du capital (majoration de la CSG « patrimoine »). Le maintien d’un financement quasi-exclusif des retraites par des cotisations assises sur les salaires ne se justifie plus. Une part significative du pouvoir d’achat des ménages provient de revenus non salariaux d’origine patrimoniale (revenus fonciers et financiers) : il n’est pas illogique de les mettre à contribution, en considérant la retraite comme un « revenu global différé » et non plus comme un « salaire différé ». Une fiscalisation (partielle) des recettes permettrait d’accroître la redistributivité du système. Le rapport propose une hausse de la CSG « patrimoine » de 8.2% à 10%, ce qui rapporterait 2.5 Md€ par an.


Ces solutions permettent de rapporter immédiatement 14.4 Md€, soit les trois-quarts du besoin de financement à court terme du système.


Pour lire la suite: site de Terra Nova